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L’homme au masque de cire II (suite 1)

Il serait peut-être utile de lire le blogue du 22 juin.

Mais la goutte qui fit déborder le vase fut le départ inexpliqué de Mademoiselle Annah, la rosière du coin, une brunette de 24 ans ! On ne lui connaissait que des amies dans la Commune. Qu’elle disparût pour quelque individu qui ne fût pas autochtone, mit l’amour du clocher à vif.
On dépêcha sur place le commissaire Lhébété de Liège qui ne put que confirmer l’absence de cette perle rare.
Tout était parfaitement rangé dans sa chambre au-dessus du local des Rouges. On aurait cru qu’elle allait entrer d’une minute à l’autre. Ce qui fit dire à Lhébété que cet ordre était trop parfait pour être vrai. Pour sa défense, il faut signaler que la femme du commissaire était particulièrement bordélique. Il crayonna un plan où entrait la mise en scène d’un logement avec le lit au carré, les casseroles alignées sur l’étagère, les magazines empilés dans un coin, etc., sauf un crayon à cils à côté de la poubelle ! Il en déduisit que la fuite avait été programmée de longue date.
Un carnet d’adresse sous le téléphone attira son attention, sur une page figurait les noms et adresses de dix-sept hommes. D’une main maladroite la rosière avait écrit : mes amants de l’année dernière. Lhébété crut à une manœuvre de dernière minute pour égarer les recherches. Il sonna chez le premier de la liste, un curé des environs. A la vue de Lhébété le saint homme fut pris de convulsion. Il fut impossible d’en tirer un mot. Le deuxième n’était pas chez lui, sa femme l’attendait pour le souper. Il abandonna au troisième, car il retombait chez le joueur de foot, Oscar Bardibardaf, le camerounais, disparu, lui aussi. Et si les deux avaient fugué ?
L’évidence frappa Lhébété.
Il se perdait en conjectures à quelle friture il allait manger au moment de passer sur un petit pont qui enjambait le Geer, quand soudain il perdit l’agenda de Mademoiselle Annah. En voulant le ressaisir, le sien tomba à l’eau, aussitôt emporté par le courant. De toute manière son siège était fait. Quant à son agenda, il n’y écrivait jamais rien, suivant une technique qui avait ses partisans et un illustre exemple.

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Les Flamands virent une affaire linguistique, le soir où un rabique du Vlaams Blok des Fourons ne revint pas d’une soirée de collage d’affiches contre les rattachistes.
Ce fut un mois après cette dernière disparition que Henry Jarrod ouvrit son musée de cire copié sur celui de Madame Tussaud de Londres.
« Chamber of horrors » occupait tout le rez-de-chaussée du musée. On y voyait des personnages s’égorger dans une ruelle à l’identique au décor du Musée du cinéma du Grand Palais. Dans une prison voisine, on pendait ceux qui survivaient aux suites de leurs blessures, sans distinction entre les meurtriers et les victimes.
Le bourreau qui avait les traits de Boris Karloff fermait le nœud coulant autour du cou d’un condamné qui ressemblait trait pour trait au notable socialiste disparu.
Les mannequins avaient tous plus ou moins un air de famille avec ceux qui manquaient dans le village. Ce que la foule des curieux considéra comme un hommage aux disparus. Phibes en fut félicité par Lhébété.
Le gardien de but, qu’on reconnaissait à sa peau noire et son short bien rempli, était criant de vérité.
L’ancienne rebouteuse s’activait en visiteuse de prison dans une attitude osée près d’un Chéribibi célèbre à Visé qui s’était volatilisé de la prison de Namur. Cette scène fit jaser.
Le commerçant failli était si ressemblant que Maître Barbenbois, huissier de justice, parmi les visiteurs, déposa un exploit au pied du mannequin à toute fin utile.
Mais le professeur avait aménagé le clou de cette exposition spéciale dans une annexe qui avait servi d’étable à cochons. Le professeur l’avait transformée avec Peter Lore en palais des mille et une nuits.
Le tableau s’appelait « la favorite du grand turc » sous-titré en anglais « Erotic scene in the seraglio of the Turkish frand ».

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Dans une ambiance de mauve et de vert, une femme magnifique était étendue sur un lit de parade. Des odalisques l’éventaient par des moyens mécaniques. Une musique suave sortait d’un baffle camouflé derrière un moucharabieh. Régulièrement surgissait en images subliminales un homme abominablement décharné, tandis qu’on entendait un bruit de chaîne.
C’était l’esclave blanc de la favorite que des eunuques torturaient, s’il fallait en croire l’explication sonore qui sortait d’une machine à sous. Cette torture était le châtiment du Grand Turc.
La vision de cet homme détruit était un supplice pour la favorite coupable de lui avoir accordé ses faveurs.
Les yeux extraordinaires de la sultane remplis de terreur suivaient les visiteurs !
En sortant de la salle, les invités frissonnèrent puis se félicitèrent d’être vivants.
Cette exposition fit grand bruit.
Le professeur déclina les invitations qu’il recevait de partout.
Il ne voulait pas, dit-il, profiter de l’affliction générale.
Phibes mit à la porte un désespéré qui voulait passer à la postérité pour que sa compagne volage le vît statufier et en éprouvât des remords.
Le professeur le convainquit que son art n’avait rien à voir avec sa momification.
Son réalisme ne devait qu’à son talent.

(Demain l’épilogue)

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