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Ce jeune homme est centenaire.

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Sartre dans la conclusion de son essai d’ontologie phénoménologique nous demande de renoncer à l’esprit de sérieux. En effet, l’esprit de sérieux a pour inconvénient de considérer les valeurs comme transcendantes de la subjectivité humaine. Le résultat de l’esprit de sérieux est de faire voir les choses par leur côté personnel (idiosyncrasie empirique), et les rend opaques et désirables. Pour dire les choses plus simplement, on en arriverait à acheter un aspirateur, non parce qu’il aspire, mais pour sa forme aérodynamique. Qu’il aspire ou n’aspire pas est tout à fait secondaire. (Dac aurait écrit « accessoire » quand on sait que les aspirateurs en sont abondamment pourvus)
Par conséquent abandonnons l’esprit de sérieux pour signaler qu’en juin, on aura une pensée non sérieuse, donc anticonformiste, pour le centième anniversaire de la naissance de Jean-Paul Sartre.
De même nous glisserons sur le prix Nobel qu’il a refusé pour nous épater devant la jeunesse d’esprit qu’il conserva jusqu’à la fin de l’existence.
Il a envisagé sa vie comme une passion. En mai 68, à près de 63 ans, Sartre ne se contente pas de sa tribune du Nouvel Observateur. Il prend part à l’action et harangue les étudiants avec autant de fougue que Daniel Cohn-Bendit.
Si l’on considère avec l’esprit de sérieux Sartre le révolutionnaire, on ne comprendra rien à son parcours ultime, sa révolte de « jeunesse » qu’il fit sexagénaire, allant jusqu’à s’écrier le 11 mai sur Radio-Luxembourg : «Le seul rapport que les étudiants puissent avoir avec cette Université, c’est de la casser; et pour la casser, il n’y a qu’une solution, c’est descendre dans la rue.»
Nourri de la vie et de l’œuvre de Flaubert pour lesquelles il se documentait dans le projet d’écrire « L’Idiot de la famille », il avait sans doute lu du maître de Croisset : « Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de merde qu’il est temps de ne plus en avoir du tout », qu’il faut assortir de cette autre saillie (non sérieuse) « Les oiseaux en cage me font tout autant de pitié que les peuples en esclavage. De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute. » Le même Flaubert se reprenant ensuite dira en fils de bourgeois attaché à son « statut » de Flaubert-médecin-chef des Hôpitaux de Rouen (père de l’écrivain) : « Fataliste comme un Turc, je crois que ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité ou rien, c’est la même chose ». « Prurit » bourgeois que Sartre explique très bien.

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C’est en prenant avec sérieux l’art de touiller dans les cervelles estudiantines que bien plus tard, l’Haut-lieu de notre Université s’est durablement brouillé avec le sartrisme. Aujourd’hui, la plupart des doctes emmerdeurs de la place du XX Août et des hauteurs géographiques plutôt qu’intellectuelles du Sart-Tilman feraient mieux d’abandonner des carrières à jaquette et Ordre de la couronne pour s’adonner à quelques bonnes professions comme plombier-zingueur ou maître maçon. Mais voilà, il y a le chauffage central, le seul remède efficace à leur frilosité, et l’escarcelle à renouvellement garanti les fins de mois, deux notions fondamentales indispensables pour comprendre l’attachement au statut de l’engeance méprisante.
Sartre qui avait horreur de cette prétention du savoir se voulait « un homme fait de tous les hommes et que vaut n’importe qui ».
Sa modestie ne fut jamais prise au sérieux, ce qui était à la fois pour lui le triomphe de ses idées (voir plus haut) en même temps qu’il vécut mal le sentiment d’imposture qu’il inspirait à ses détracteurs.
Son œuvre philosophique est difficile par les mots savants que parfois il invente à partir des racines grecques, mais aussi par le péché mignon, qu’eut après lui Pierre Bourdieu, celui d’une pensée trop riche qui s’impatiente et gonfle les phrases.
Par contre, son œuvre romanesque et son théâtre sont plus limpides.
Voilà une idée de gauche qui aurait dû séduire Liège : faire au moins quelque tapage autour de Sartre, homme de gauche, s’il en est, comme on en fit pour Simenon, enfant du pays, certes (et encore pas longtemps), mais homme de droite, et pire, si l’on se réfère à sa parentèle dont il ne se démarqua jamais.
Quoique mort depuis longtemps, Sartre, ce gamin incorrigible, effraie encore aujourd’hui. Comme quoi, on préfère, dans nos universités et nos bonnes villes, louanger des anciens sympathisants et des collabos de droite, plutôt qu’un énergumène qui, osant se mêler à la jeunesse du temps, brandit un certain petit livre rouge aussi drôle que « les Pieds nickelés », la bande dessinée que Sartre lisait enfant.
Une fois de plus, on a perdu une belle occasion de ne pas être sérieux. Liège se voue ainsi à la tristesse bourgeoise, bien avant que celle-ci ne capote dans quinze ou vingt ans dans la pénurie d’ «essence de l’être » avant celle du « néant ». Ce qui d’une manière ou d’une autre feront sourire les vrais philosophes.

Commentaires

C’est certain, Sartre aurait du être scénariste des Pieds Nickelés !

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