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Le mot.

-Tu leur racontes une anecdote militaire… les gens aiment bien les grosses farces quand l’armée était faite de troufions qui attendent la quille en se saoulant la gueule.
-…la Jup était à cinq balles. Elle est à combien à l’heure où je te cause ?
-J’ose pas y penser.
-On déambulait dans les rues de Namur. C’était pas d’une folle gaieté. C’était du temps de la guerre froide. Si t’avais vu la gueule des gamelles qui se croyaient envahis par les Popov.
-J’en étais aussi, comment on s’est pas connu ?
-On fréquentait pas les mêmes bars ?
- Les gens nous aimaient pas. Les filles non plus. Faut dire qu’avec la solde on avait, on pouvait entrer nulle part. On se faisait jeter.
-Moi, j’avais une combine. Je m’envoyais une jeunesse pendant que son mari faisait son service.
-Un collègue en quelque sorte ?
-C’était pas la pin up tu vois…
-Une femme de rengagé.
-Non. Un appelé comme nous.
-Un planqué alors ?

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-Pas tout à fait. Le mec avait épuisé tous les sursis. Il avait bien cinq ans de plus que nous. Sa mousmé avait loué un appart à Wépion, soi-disant pour que son chéri soit pas seul. Or, son bataillon huit jours plus tard déguerpissait de Marie-Henriette pour l’Allemagne. La charmante s’était trouvé coincée en bord de Meuse, tandis que le loustic était en bord du Rhin à l’exercice.
-C’est intéressant ça…
-Tu parles. Elle avait un de ces appétits ! Toute la caserne la sautait à tour de rôle. Pour pas embouteiller, elle filait un mot d’ordre.
-Comment ça ? Un mot de passe, tu veux dire ?
-Oui. On pouvait pas débarquer à quarante dans un environnement judéo-chrétien. Puisque t’en as été, quand on relève la sentinelle, on file un mot de passe. Si c’est le bon, ça va.
-Et quand c’est pas le bon ?
-On court le redemander au corps de garde. Et on se fait engueuler par le maréchal des logis.
-C’est la règle.
-Sauf qu’ici, c’est la luronne qu’avait le mot de passe. Note, c’était facile. C’était toujours le même. Une nuit, c’était mon tour. J’avais fait le mur d’accord avec le caporal Baste. Je me pointe à vélo jusque Wépion. Il faisait noir comme dans un four. Je frappe à la porte. Elle ouvre le judas… J’entends « qu’est-ce que c’est » dit d’une voix bizarre. C’est moi, que j’y fais… Elle fait « le mot de passe » ? Plus moyen de me le rappeler !... Je dis à tout hasard « Normandie-Niémen » c’était l’année où on en avait fait un feuilleton.
-Alors ?
-C’était pas le bon. On s’était déjà mélangés dans les fraises. Je te dis pas l’état des fraises… et elle m’ouvrait pas ! Moi, je ne voyais que ses yeux au judas. J’en ai encore balancé quelques-uns, de mots : « Tronche à bitte », « Champagne-Ardenne », « Bastogne », même le « nuts » de Mac-Auliffe, puis une inspiration « Brigade Piron », sans résultat… J’allais tout de même pas retourner à Marie-Henriette de Wépion pour demander le mot à Baste. J’aurais jamais pu revenir pour l‘appel de six heures.
-Alors, qu’est-ce que t’as fait ?
-Rien. Qu’est-ce que j’aurais pu faire ? J’avais pas le mot. Elle jouait la sentinelle pure consigne. Je hurlais, ouvre Loulou, c’est moi Albert… Ah ! elle s’est bien foutue de ma gueule ! Pour pas rater l’appel, je suis rentré et juste comme j’étais dans le porche, j’ai eu un éclair… I’ m’est revenu !....
-Quoi ?
-Le mot.
-Ça, c’est la poisse…
-Encore aujourd’hui, j’y repense. Le mot, je l’ai jamais oublié, depuis...
-C’était quoi, le mot ?
- Attends… Je l’ai sur le bout de la langue… Manage… non… Heinmat ? Non. De nouveau un trou …
-C’était pas Mannheim, des fois ?
-C’est ça !... Mannheim. T’en étais aussi, toi ? Pourtant, je t’ai pas connu à Marie-Henriette !
-Mannheim, c’est là que j’ai été caserné après Marie-Henriette. J’ai eu une permission spéciale. Quand je suis revenu, Loulou m’a dit que des petits cons se disaient de Mannheim, pour qu’elle leur ouvre pour la sauter. Mais qu’elle voulait pas, que c’était moi, son petit homme qu’elle aimait… Je me suis mis au judas…
-Ah ! dis donc, quelle histoire. Tu crois qu’elle est drôle ? Tu m’en veux pas ?
-L’année suivante, elle foutait le camp avec le caporal Bast. Alors, tu penses si je m’en fous…
-Tu crois qu’on peut balancer ça sur le blog à Richard ?
-Facile. Ça fait au moins une semaine qu’on rigole plus !


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