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Pathos métaphysique.

Parfois, on s’écarte du droit fil des vies assemblées vers lesquelles courent les gens.
L’uniformité ne séduit plus.
On ne serait plus rien qu’un infime atome, que cela vaudrait mieux que le boulet de plus en plus pesant que l’on traîne de soi.
Cela arrive sans qu’on le veuille. On lève la tête et l’on voit la voie lactée que des millions d’années avant nous, des hommes ont contemplée, si différents de nous et pourtant avec le même regard.
Et l’on disjoncte.
On se désintéresse des événements, des hommes, de soi.
Amours, joie, angoisse, on ne se sent ni bien ni mal. On se sent ailleurs.
On reste la dupe de l’autre enchaîné qui nous ressemble qui ne se débat jamais, qui ne montre pas ses sentiments et qui rie pour pleurer.
Souvent alors descendant en nous-mêmes nous nous arrêtons à cette évidence que l’on ne peut être celui que l’on est. Il y a quelque chose qui toujours se met entre deux aspects du tout. Quelque chose que l’on ne pourrait définir. Une sorte de masque qui s’effeuille et laisse apparaître un autre masque et ainsi à l’infini.
Il n’y a pas d’apparence finie. Nous changeons d’aspect tous les jours. On appelle cela les modifications pour atteindre à la vieillesse, au portrait définitif – enfin que nous croyons définitif – le dernier en tous cas que nous laisserons derrière nous, tandis que dans le secret de la tombe, nous nous modifierons encore, jusqu’à ne plus être rien, mais de ce rien qui confine à l’univers.
Plus on avance plus on se retient à des mots comme aux herbes d’une pente qui accélère notre descente du poids de notre corps.
Nous n’avions pas l’intention de nous agripper aux mots, mais à quoi s’agripper d’autre ?
L’aventure n’est pas dans la vie, elle est inscrite au passé sur des photos, dont nul autre que nous ne mettrait un nom sur les visages.
L’aventure est toujours au passé. Vécue, on n’en a pas conscience. Et ces visages en deux dimensions sur du papier glacé sont-ils vraiment ceux que l’on a connus ?
Ne sont-ils pas plutôt des illusions qui vivent par procuration, dans nos rêves et notre souvenir ?
La nostalgie nous condamne à des recréations.
Nous abandonnons un être sur le bord de la route, à moins que ce soit lui qui nous abandonne. Dans notre souvenir, il ne vieillit pas.
Souvent, les seuls êtres dont on se souvienne, ne sont que les portraits de nous-mêmes à nos différentes étapes de notre destinée. Ceux que nous conservons dans nos tiroirs de la mémoire ont épousé nos traits depuis longtemps.
La conscience d’avoir tout raté et de ne jamais avoir été ce que l’on ne connaît de nous n’est pas une chose à dire. Cette conscience n’atteint les fats et les importants qu’à la longue.
C’est peut-être la seule vérité de l’honnête homme. Celle que l’on ne dit pas lorsque la position sociale est acquise, que les dés sont jetés et que tout sonne faux dans un décor qui resserre toute action dans la convention et l’artifice.
A la place de quoi, on s’écrie « J’ai réussi. » sans bien savoir ce qui nous fait dire cela qui se réduit le plus souvent à l’estime de soi par les moyens dont on dispose.
Nous croyons être spontanés, vrais, alors que nous fabriquons nos vérités et nos spontanéités en fonction de tout sauf de notre conscience.
Nous sommes comme ces psychopathes qui nient les faits qui les accablent avec l’impudeur de la parfaite mauvaise foi, tant nous savons ainsi ébranler la conviction dans le cœur des hommes par nos mensonges.
Sommes-nous coupables ? Non, nous ne le sommes jamais. Et ceux qui le croient vivent sous Prozac.
Cette innocence est de la même nature que celle du pervers.
Mentir nous sert à vivre.

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Nous mentons tous plus ou moins bien. Seuls les menteurs publics se voient parfois reprocher leurs mensonges de la bouche de ceux qui mentent autant qu’eux.
J’ai la faiblesse de croire que les certitudes sont des erreurs et que ce sont parmi nos vérités, les pires mensonges.

Commentaires

Effrayante luciditée qui n'a de valeur que pour retrouver le goût de vivre encore.

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