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Requiem pour un abbé.

Ah ! on a fait dans le grandiose. Notre Dame, les grandes orgues, le gratin, les chamarrures, on y a mis le paquet ! Le Pierrot n’en serait pas revenu, s’il avait pu sortir de sa boîte ! Mais voilà, justement, tout ça était évidemment en sa mémoire et hors de portée de son jugement, une façon de le prendre en traître, par surprise…
Rien n’avait été oublié, la cape, le béret, la Légion d’honneur, les évêques, les personnalités…
Lui qui gueule depuis cinquante ans qu’on ne fait rien pour les pauvres et les sans-logis, aurait pu se dire : « Tiens, vont-ils se décider ? » à la vue de tous ces gens qui pouvaient passer pour repentis à la minute où la télévision balayait leurs visages « ravagés » par le chagrin.
Las ! bien sûr que non, ils ne se seront pas décidés plus le jour de la mort du « saint » qu’ils ne se sont décidés le fameux hiver 53 et le premier coup de colère de l’abbé qui le fit connaître médiatiquement.
Voilà, c’est ainsi, les notables ont besoin que de saintes personnes leur montrent le chemin, ainsi ils peuvent en suivre un autre à l’aise, quitte à se « repentir » à la dernière minute…
Avant-hier, c’était la mascarade complète des notables pour la grande émotion des familles. L’exemple à suivre était allongé entre ses quatre planches, là où il pouvait toujours râler sans plus impatienter personne. La morale était sauve, l’hommage unanime de la nation était là. Il ne manquait pas un surplis. « Voilà ce dont on a besoin » résumait les discours, « …que la France pleure son saint homme », finissait le requiem.
Les mines étaient graves et le bas peuple côtoyait les huiles dans une « grande fraternité nationale ». Celui qui incarne la Nation avait tenu d’en être. Les gros plans sur ce comédien superbe qu’est Jacques Chirac, recherchaient la petite larme qui perle, mais qui ne se décide pas à rouler le long de la joue, par pudeur.
C’était, comme on dit dans les salons, absolument parfait.
L’Eglise raffole de ses sortes de réunion. C’est l’occasion pour elle de rappeler qu’elle est toujours là au bon moment et surtout qu’elle est incomparable pour les derniers.
Aussi, soigne-t-on la mise en scène. N’est-ce pas dans ce cadre prestigieux que l’Haut-lieu met toujours un point final à sa carrière ?
C’est ainsi qu’ils ont pu se dire, les importants, histoire de tuer le temps d’une cérémonie toujours longuette quand elle est « grande » : « C’est ici qu’on me déposera un jour. Je me demande qui viendra ? Et si je vivais aussi vieux que l’abbé, aurais-je encore comme lui, tant de monde ? ».
Si on avait dû enterrer l’abbé à la mesure de ce que sur cinquante années on a fait pour son œuvre, on l’aurait embarqué pour sa terre définitive dans un corbillard de troisième classe, arrivé à destination, une absoute à 10 € 50 aurait été bâclée par un curé itinérant, puis sous quelques flocons de neige - qui a Paris avaient valeur de symbole, mais qui à Esteville auraient fait que les 400 habitants seraient restés chez eux – on l’aurait mis dans le trou vite fait ; les fossoyeurs se seraient retrouvés à l’estaminet pour une petite bistouille et puis basta…
C’est peut-être cette manière expéditive de régler les derniers frais ici-bas qui aurait plu à l’abbé.
Enfin, il savait bien que son corps ne lui appartenait plus depuis qu’il était entré dans l’histoire grâce à une médiatisation qu’il avait recherchée. C’était la seule façon pour lui de jeter une couverture sur le dos des pauvres gens. Qui l’en blâmerait ?
L’émotion passée, que fait-on, devrait-on se dire ?
Rien, comme d’habitude, est la seule réponse la plus vraisemblable, mais qu’on n’entendra pas ; car si elle est l’expression de la vérité, elle dérangerait davantage que les autres jours en celui-ci de deuil.
Comme chacun y va de son anecdote, il me souvient d’il y a une petite vingtaine d’années où il était d’actualité de se servir du mauvais sort de nos prostituées des villes pour monter une émission de télévision. Un interviewer avait été scandalisé par les propos de l’une d’entre elles. Cette dame avait parlé de sa clientèle, à seule fin de démontrer que des gens très bien l’honoraient de visites régulières. Et elle avait parlé de l’abbé Pierre parmi ses assidus.
Dans le dernier livre publié sous sa responsabilité, il avait fait écrire à son mémorialiste que c’était tout à fait exact et que pendant tout un temps, il fréquenta ces dames.
Il était contre le célibat des prêtres et pour l’usage du préservatif.
Magnifique de sincérité, cet homme-là risque ainsi de ne pouvoir être déclaré saint par l’Eglise ; mais il s’en fichait, préférant à ce titre, celui d’homme vrai.

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Ce vieil homme n’était pas de gauche. Il fut député centriste. Mais il n’était pas de droite non plus. Il était du côté de la vérité, qui comme on ne le sait plus dans les milieux politiques et à l’Eglise n’appartient à personne et n’a pas de limite. Il était du côté de ceux qui n’on rien, des vaincus par avance du système, de ceux qui ne savent pas s’exprimer, de ceux qui n’ont pas choisi d’être dans la rue.
C’est à ce titre seulement, que nous avons perdu quelqu’un de bien.

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