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L’escapade.

Souvenirs et récits militaires (2me partie)

-Léon. J’ai entendu du bruit dans la chambre des filles.
En chemise de nuit, La Feuillée s’était levé en faisant le plus de bruit possible, arrachant quasiment le tiroir de la commode pour saisir son Mauser, une arme trophée qu’il avait sortie du holster « d’un boche » après s’être assuré que les Américains libéraient le camp sans combat.
Ainsi, les éventuels cambrioleurs, au tintamarre, auraient eu le temps le temps de repartir par où ils étaient venus. Quand il ouvrit la porte de la chambre des filles, Esther pleurait sans bruit sur le lit à moitié nue, les genoux sous le menton.
L’autre lit était vide !
- Et Pauline, nom de dieu, où est Pauline, hein ! dit Léon, sachant déjà ce que l’autre allait dire.
-Elle s’est enfuie, papa, avec Jandron…
-Quoi ! le fils Jandron… ce jean-foutre !
Fou de rage, La Feuillée se précipita à la fenêtre large ouverte sur le noir du jardin, espérant voir une ombre fugitive, son gros Mauser défiant la nuit.
-Ne fais pas ça, papa, gémit Esther. Pauline était d’accord. C’est elle qui a tout préparé…
Consentante ! malgré l’éducation chrétienne… La Feuillée crut apercevoir une ombre glissant entre les cerisiers. Il tira sans viser, pour marquer le coup… Blanche, derrière, lui prit l’arme des mains. La lune perçait les nuages. On y vit un peu plus clair.
La Feuillée ne savait plus que faire. Il aurait pu tuer sa fille. Cette évidence l’anéantissait.
Il n’y avait que le bruit des feuilles et des arbres secoués par le vent sous la pluie battante.
-Pourquoi n’as-tu pas voulu que Pauline voie Jandron. C’est un honnête garçon, dit Esther à travers ses larmes, d’une voix de reproche.
Sa fille le sauvait de l’hébétude dans laquelle le plongeait son geste homicide. Et il lui retourna une paire de claques.
-Léon arrête, dit faiblement, Blanche qui aimait trop son mari, pour bien aimer ses filles.
-Tu n’as rien dit, hein… t’es complice, ma parole ! On en reparlera demain. Pour l’heure, il me faut rattraper ce propre à rien de Jandron… Mais l’autre, hein… quand je la tiendrai…une pute dans la famille, tu entends – et il se tourna vers Blanche – ça ne peut venir que de ton côté… me faire ça à moi.
Les deux femmes l’entendirent encore grommeler dans le couloir « …et mon avancement, elles ont pensé à mon avancement ? ».
Blanche le suivit, priant pour qu’elle reçût la volée suivante à la place d’Esther. Non pas qu’elle voulût que Léon épargnât sa fille, mais parce qu’en femme jalouse, elle ne supportait pas l’idée qu’il pût frapper une autre qu’elle !
Esther les entendit parler crier. Puis, plus rien... La porte d’entrée claqua quelques minutes plus tard.
La Feuillée avait endossé son uniforme et était sorti comme un automate, prenant sans réfléchir, le chemin de la caserne « Commandant Fauthrier ». Sa rage était tombée. Il était plus inquiet de la pluie qui lui mouillait la tête que de la décision à prendre. Comme un imbécile, il était parti sans son duffel-coat. Le couplet du « déshonneur » attendrait son retour avec la petite garce.
Esther, de la fenêtre, le vit qui s’enfonçait dans la nuit
La caserne était à moins d’un kilomètre.
C’est ainsi qu’il déboucha au corps de garde, sans plan précis.
La nuit, les trains ne circulent pas. Pauline et Jandron devaient se terrer entre la gare et la maison. Avec la caserne, cela faisait un triangle isocèle qui s’inscrivait dans un cercle de cinq kilomètres.
Il fallait organiser une patrouille, ou plusieurs patrouilles, tout dépendrait du nombre d’hommes disponibles pour épingler le petit salopard et sa pute de fille.
Le hic, c’était d’entreprendre la chose sans divulguer à Des Mielleuses la raison de l’exercice.

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II.

A la fenêtre, le caporal Debatz guettait le retour de Cornillon. Il avait de la manche de sa capote effacé l’opinion d’un troufion qui surfant sur la buée avait écrit « Des Mielleuses est un con ».
-Pitaine, voilà le maréalogis Cornillon, dit-il, en l’apercevant qui courait sous la pluie.
Quand Cornillon poussa la porte, la colère de La feuillée lui remonta à la gorge comme un rot.
-Maréchal des logis Cornillon, rugit le nouvel arrivant .
-Cornillon ! Où étais-tu bordel ? C’est l’anarchie parole, juste quand on a besoin d’un appui tactique. Où c’est-y qui sont mes militaires ? A gueuser dans les écuries ! Je connais la chanson, on s’amuse dans les foins des bêtes. Le mois dernier, le cheval Trompette a failli crever d’avoir avalé un préservatif !
Les petites dévergondées qui s’enfoncent dans les foins avec les gars du contingent et qui s’enfuient le cul à l’air, aux craquements de ses bottes, avaient toujours fait bander La Feuillée. Il patientait des heures aux bons endroits à retenir son souffle.
-Debout bleusaille, on part en mission. Il donna un coup de cravache sur la table, faisant sursauter la troupe qui se rendormait debout.
(à suivre)

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