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Weber, trompe-l’œil parisien de Flaubert

S’il y a bien quelque chose d’affligeant dans le parisianisme, c’est la tentation du microcosme à se faire peur en abordant les êtres et les choses, par le biais de la représentation fausse qu’il en a. Ainsi, sans risquer gros, il passe pour hardi.
Il y a sur la place quelques comédiens qui traduisent cette peur « délicieuse » en collectant des textes dénonciateurs, qu’il est agréable d’apprécier dans un fauteuil au parterre en sentant courir sur l’échine ce petit frisson de tentation-répulsion des choses interdites dans la réalité, seulement permise dans l’imaginaire.
Ce fut le cas des lectures de Céline par Lucchini.
Céline est cet affreux Jojo qui dit d’effroyables choses que l’on réprouve sur les Juifs, mais que l’on est bien aise d’entendre, même si Lucchini ne les dit pas, mais les suggère en surfant sur « Mort à crédit » au lieu de « Bagatelles pour un massacre ». Il n’était pas question d’aller au fond de la rhétorique célinienne et encore moins d’en voir le côté vengeur et faubourien, mais d’y faire connaissance du nécessiteux sortant du cabinet du docteur Destouches.
Voici pour enrichir la collection, Weber aujourd’hui dans la peau de Flaubert.
L’acteur est déguisé en anarchiste de salon, proférant « les choses abominables » de l’écrivain qui fit de la culture en pot pour Pécuchet, ne travailla jamais, et commit des ronds de jambe dans l’intimité de la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, afin de s’y faire pardonner sa Bovary ; mais dont la conscience angoissée voyait la bourgeoisie à travers son propre bourgeoisisme, c’est-à-dire impitoyablement.
C’est assez commode de vivre en Sarkozye, une société qui s’effraie de tout et n’ose plus aucune transgression, quand elle s’encanaille sans risque deux heures en soirée dans un théâtre.
La mode est à la réincarnation. Weber dont toute similitude avec Flaubert se borne au quintal commun de graisse, incarne le grand écrivain qu’il vêt à sa fantaisie d’artiste : de ses pantalons à grosses côtes qu’il affectionne, dans lesquels on le voit depuis vingt ans, affublé de ses chemises sans col dans du coton épais comme les voiles d’une chaloupe, affirmant dans cet accoutrement son « désir » de gauche.
Non, Gustave Flaubert n'est pas que ce moustachu ventripotent, incarnation d'Emma, dévoué à une Junon dénommée Louise Colet, femme de flûtiste et hétaïre un moment à la mode.
En réalité, Gustave était un provincial attaché à ses pantoufles qui dut se faire violence pour baguenauder deux années à la recherche d’un orientalisme qu’il ne trouva pas en compagnie d’un autre déluré d’occasion : Maxime Du Camp, fils comme lui, d’un médecin fortuné. Pour ensuite organiser sa vie en navettes Croisset-Paris quand il fallait apaiser sa fringale des femmes.
Maxime et lui avaient compris toute l’horreur et en même temps tous les délices de leur condition de fils à papa. On est loin d’un Rimbaud s’exilant en Afrique par dégoût d’un système social et y trafiquant des armes par nécessité et provocation.

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C’est lui tout craché disent les critiques en parlant du comédien, sans avoir lu grand chose de l’ermite de Croisset, en félicitant Weber jouant la traditionnelle modestie du socialiste pratiquant, que Flaubert n’était pas.
Le vide en 1871du courrier de Gustave, au sujet du bain de sang dans lequel finit la Commune de Paris, en atteste ; comme son manque de cœur à l’égard de son ancienne maîtresse Louise qu’il laissa se terrer misérable dans une cave pendant la répression des prolétaires parisiens et qu’il n’aida pas, pendant les cinq années qu’il restait à vivre à la malheureuse.
Les décors plantés, on assiste sur scène à la métamorphose de Weber-Cyrano, en Spendius agressif, déclarant, sans ambages, que "l'artiste doit s'arranger de façon à faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu" ; ce qui était sans doute vérité « intermédiaire » pour Flaubert, mais que le teint fleuri et le sourire « amusé » du comédien démentent catégoriquement.
Flaubert a connu le milieu parisien du bel esprit, les frères Goncourt, Sainte-Beuve, Guy de Maupassant. Certains avaient été les amants de Louise Colet, de onze ans l’aînée de Gustave, tous lettrés, écrivant leurs amours en vers, comme « la Muse » usant de l’alexandrin de plus ou moins douze pieds….
C’est Georges Sand qui connut le mieux Flaubert « garçon », l’appelant « Mon chéri cruchard », tout attendrie qu’elle était par les efforts qu’il fit sa vie durant pour s’extraire d’un milieu qu’il n’aimait pas, mais dans la facilité duquel il ne put jamais sortir, même s’il eut un geste « héroïque » en vendant des biens afin de sauver sa nièce Commanville de la faillite.
Le spectacle de Weber montre un Flaubert bravant les conventions, mais découpé de façon conventionnelle par le choix des textes exhumés de la correspondance.
Il ne reste plus qu’à gloser sur le « modernisme » de Flaubert. Comme Weber, on aura passé à côté d’un grand écrivain dont il conviendrait plutôt de lire sa correspondance et sa Bovary, plutôt que son Saint-Antoine et son Education sentimentale, quoiqu’il s’y trouve dans l’un comme dans l’autre de ces derniers, des pages d’une rare acuité, qui font que l’œuvre de Gustave défiera le temps.
Il ne lui aura manqué que l’endurance d’un Balzac qui vécut huit années de moins que lui, mais, put développer sa pensée dans la comédie humaine, d’une étendue bien plus vaste, par la seule raison qu’Honoré avait une facilité naturelle d’écriture, ce dont Flaubert manquait.
Il entrait dans le droit fil des festivals que ce spectacle fût aussi de Ramatuelle.
Peut-être aurez-vous l’occasion de juger de la pertinence ou de la mauvaise foi insigne de cette critique sur France 2, un de ces soirs ?

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