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Les « Traditions ».

En Belgique, les « Traditions » sont des organisations spontanées qui naissent quand un événement dérange les lieux communs qui tiennent lieu de réflexion à certaines foules. Les « Traditions » ont beaucoup de points communs avec le Tea Party US, sauf qu’au lieu d’être d’extrême droite, les « Traditions » sont uniquement conservateurs. Il y en a même qui se réclament du PS et qui se disent conservateurs-progressistes !
Il suffit donc d’éveiller leur attention sur un fait divers ou politique qui entre en contradiction avec les idées reçues pour les mobiliser.
Les « Traditions » sont, par conséquent, des outils non négligeables pour maintenir un statu quo qui ne profite qu’aux gens en place, rarement pour imprimer au pays une impulsion nouvelle avec d’autres acteurs.
Si l’on est adroit, on peut se servir des « Traditions » pour dénoncer les idées reçues, aussitôt remplacées par d’autres idées reçues, moins évidentes dans leur conventionalité.
Un exemple : inviter les internautes à camper symboliquement rue de la Loi, afin de dénoncer l’absence de gouvernement. Cette idée, aussitôt reprise contient tous les ingrédients requis.
Elle n’a que pour ambition avouée de presser les Sept de sortir un gouvernement des négociations. Pas pour faire un gouvernement sur des bases nouvelles, des modifications de l’Etat, non, cela les « Traditions » s’en fichent. Seulement parce que les patrons sont en train de perdre de l’argent dans le cadre de l’Europe et qu’il est urgent de montrer à l’étranger, contrairement aux agences de notation qui revoient leurs notes, que tout baigne.
L’ambition inavouée, c’est de laisser la Belgique en l’état, avec son roi, ses lois, son parlement, ses financiers apologues du capitalisme et le système de représentation, pour faire la même chose qu’il y a 50 ans, tout en faisant croire qu’il y aura du changement.
C’est ainsi qu’avec l’aide des journaux, les milieux financiers manipulent les manifestants symboliques.
Parfois les « Traditions » tombent dans le paradoxe. Par exemple l’espèce de fascination qui saisit la foule sur les crimes de l’église en matière de pédophilie. A lire la presse, on croirait que les curés sont tous dépravés. Les nonnes ressemblent à la maîtresse de Casanova, la fameuse MM, nonne perverse, qui prend son pied avec l’intrépide vénitien sous l’œil masqué du cardinal de Bernis.
Mais, c’est quoi ce délire ? Des histoires dont certaines remontent à plus d’un demi-siècle, qui voient de la crème de bagne dans quelques pauvres bougres et bougresses frustrés, dérapant dans le vice de la façon la plus navrante. Et on en fait une généralité épouvantable avec tout le vieux fond d’anticléricalisme que nous, les laïcs, conservons malgré tout dans nos mémoires. En ce sens, nous serions les « Traditions » de Nadia Geerts, pour laquelle, entre parenthèse, j’ai la plus vive admiration.

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Ici les « Traditions » dépassées par l’actualité subissent la contre-exposition de deux idées reçues.
La première, c’est l’accélération des crimes et la dangerosité de se promener en rue « avec tout ce qui se passe, on n’est même plus rassuré d’envoyer ses enfants dans des écoles catholiques, etc. » Les stupres et les fornications hors nature dépeints par les journaux accroissent cette peur, en même temps qu’un sentiment confus, pas éloigné d’être un vice secret, étreint les « Traditions » au récit de ces vieux naufragés de la vie « qui parlent enfin » pour se débarrasser d’un poids qui les opprime. Tandis que certains envient les adolescents des dortoirs – décrits par un échauffé de la rédaction de la Dernière Heure - appelés à faire leurs premières expériences sexuelles non pas avec un vieux prêtre mal lavé, mais avec des béguines roses et sentant bon le savon de Marseille. C’est oublié que de véritables voyous ont été sanctionnés en leur temps par l’église et les tribunaux, dont le porte-étendard, si je puis dire, est le fameux curé d’Uruffe, en France, il est vrai.
La seconde idée reçue nous remonte de nos entrailles restées prolétaires, dans un monde qui se tue à nous vanter notre nouvelle condition de socialiste-centriste voué aux délices de l’égoïsme pur ! Cette idée nous remet en situation des siècles d’avanies dans lesquelles nos ancêtres ont connu la morgue et la suffisance de ce clergé au-dessus des lois et gavé à se faire péter la soutane de nos dépouilles.
C’est la vengeance du petit-fils du grand-père mort hébété parce qu’abruti de travail et de respect obligatoire pour ceux qui « ne foutent rien ». Pour se venger, l’ancêtre aimait raconter à qui voulait entendre, les histoires des malheureux enfants de chœur sodomisés en pleine collégiale.
En attendant Godot, sans doute, ou l’Arlésienne, les « Traditions » ne chôment pas. Le 23 janvier, on va voir l’une d’entre elles appuyer les campeurs fictifs de la rue de la Loi. On pourra y constater si « l’appel » de Benoît Poelvoorde aux imberbes, les abjurant de laisser pousser leur barbe, sera entendu.
Une « Tradition » sort de la nébuleuse « abuseurs d’enfant » et vise directement tout l’enseignement. Pour que l’hystérie, phase première de cette « Tradition » passe à la phase névrose obsessionnelle et au stade ultime à la paranoïa, il faudra guetter des affaires de pédophilies mettant en cause des enseignants. Les journaux qui préfèrent tout plutôt que parler d’un système économique pourri, se feront une joie de leur fournir de la matière. Ça tombe à pic, les parents de plus en indifférents à la culture verraient d’un bon œil que les enseignants rabattent de leur superbe, de sorte que le peu d’autorité qu’ils conservent encore sur les cancres turbulents se noie dans le soupçon général de « puisqu’ils ont choisi un métier comme ça, c’est qu’ils sont pédophiles » !
Qu’on se le dise les « Traditions » ne sont pas prêtes à laisser la place à « raison garder » de ce farceur René Descartes, lui-même furieux adepte d’une méthode qui rappelle bien des discours... traditionnels.

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