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Saumure ou marinade ?

La France est pour la Belgique une caisse de résonance. Ce qui ne s’entend pas ici, fait office de fanfare là-bas. En Wallonie, nous n’avons pas encore poussé fort loin le nationalisme outrancier que l’on peut voir grossir chez les Flamands d’une élection à l’autre. Cependant, qui nous dit que devant la montée des droites en Flandre, nous n’aurons pas un réflexe identique au Sud ? Des esprits échauffés peuvent très bien imaginer un affrontement droite nationaliste contre droite nationaliste, drapeaux et grosses caisses en tête !
Ne trouvant plus d’interlocuteur dans le parti socialiste de Martine Aubry capable de les comprendre, certains membres et sympathisants sont allés grossir les rangs déjà étoffés des « sans couleur », voire « sans opinion » et qui se sentent trahis quand même par la social-démocratie. Montebourg pour le PS et Mélenchon pour une autre gauche ne peuvent pas retenir tous les déçus. Aussi, le Front national est devenu le porte-voix d'une part croissante des catégories populaires.
On a toujours redouté, en Belgique, qu’un tribun de la trempe de Jean-Marie Le Pen voie le jour. La fille est encore meilleure que le père, en ce sens qu’elle a abandonné le ton cassant, le propos provocateur et que ce qu’elle dit, sent à peine la démagogie.
Le Ps belge est de moins en moins crédible dans la lutte contre les inégalités. Marine Le Pen pourrait faire illusion, surtout quand elle n’hésite pas de faire des appels du pied aux syndicats et aux associations de gauche, en extrayant à son profit des propos des discours des anciennes gloires républicaines, des radicaux au communistes. Sarko en a bien fait autant !
Ce n’est pas Louis Michel qui fête le premier mai sous la tente à Jodoigne et qui ne fait illusion à personne à gauche, c’est une femme adroite, qui a de l’appétit en politique et qui fait des promesses en sachant bien qu’elle ne sera jamais en état de les tenir ; mais elle s’en fiche puisque cela la rapproche d’un pouvoir où il sera encore temps de jeter le masque.
Cette évolution du Front National ne vient pas du fond des âges d'un populisme ancien conjugué à la droitisation de l'opinion, qui ferait un mélange explosif, mais il s'agit d'une évolution récente liée à un battage des cartes sociologique et politique dû à l'implosion de la classe moyenne (mort du petit commerce), qui coïncide avec la fin de la bipolarisation.
Cet éclatement de la classe moyenne est presque terminé en Belgique. La petite bourgeoisie morte a libéré un espace comme une plaine entre deux forêts qui rend de nouveau visible les catégories populaires.

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Le surgissement dans le débat public de catégories, hier oubliées au profit des classes moyennes, est un indicateur essentiel de la nouvelle donne sociale.
C’est la fin de l’illusion Louis-philipparde, le célèbre "enrichissez-vous" qui a nourri les espérances jusqu’aux Trente Glorieuses, pour s’éteindre dans les années nonante.
Les déclassements qui ont suivi, la précarisation remontant vers les cadres, le chômage et le travail temporaire vers le bas, ont eu raison des forces politiques traditionnelles.
Même si ces concentrations, s’écartant des chemins électoraux habituels, paraissent ne pas être définitivement perdues, elles ne se pensent pas comme une nouvelle "classe sociale". Elles subissent néanmoins les effets négatifs de la mondialisation, l’insécurité sociale et une nouvelle insécurité culturelle liée à la naissance d’une société multiculturelle hostile, à cause des moyens d’expression qu’on lui refuse, surtout pour des raisons financières.
Cette insécurité de nature diverse mais rassembleuse de l’opinion ressoude des catégories sociales jadis opposées dans une même perception de la réalité sociale.
Il n’y a pas que les fermetures d’entreprises bénéficiaires qui marquent les esprits. Ce sont des gares du chemin de fer qu’on abandonne, des lignes de bus qui ne sont plus desservies, des bureaux de poste qui ferment leurs guichets, des regroupements des administrations et des petits établissements bancaires qui, avec la disparition des commerces de proximité, font à la vue de cette désertification active, même parfois des centres urbains, le sentiment généralisé que le pouvoir abandonne les citoyens.
Est-ce pour autant que les laissé-pour-compte de la société de consommation sont de droite ?
Bien malin qui le dirait. Reste que ce sont des dizaines de milliers de voix qui cherchent une issue à leur crise (qui n’a rien à voir avec la crise du dollar ou de l’euro) et qui sont à prendre. Il se trouve que c’est Marine Le Pen qui en est la première bénéficiaire.

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