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Télé badaud

J’aimais bien Pierre Bourdieu, sociologue, écrivain, mort trop vite à 72 ans en 2002. Il a dominé la pensée française à tel point qu’aujourd’hui encore on se réfère à lui. Il a excellé dans la critique des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Je relis parfois des chapitres de « La distinction », une somme nécessaire si l’on veut comprendre les facteurs culturels et symboliques, ainsi que la reproduction des rapports sociaux de domination de notre temps. Avec lui, on peut répondre à des questions d’actualité, comme par exemple pourquoi on traite avec dédain et désinvolture le remplaçant de Marc Goblet à la FGTB et comme la parole d’un Reuter de la FEB est prise d’emblée en haute considération, même s’il profère des invraisemblances, voire des conneries.
Juste encore un mot, son œuvre est difficile parce que sa pensée est parfois tortueuse, mais jamais égarée dans le labyrinthe du raisonnement. Il écrit à la manière de Sartre, tout en n’étant pas sartrien.
Bref, Pierre Bourdieu publia en 1996, c’est-à-dire il y a vingt ans « Sur la télévision suivi de L'emprise du journalisme, Paris, Liber, coll. « Raisons d'agir », une centaine de pages actualisées par Mathieu Dejean « Ma vie au poste » – Huit ans d’enquête (immobile) sur la télé du quotidien du journaliste de Télérama Samuel Gontier, qui en dit long sur le bisness du paraître (1).
Comme Alexandre Dumas, vingt ans plus tard, la télévision, est-elle toujours le “formidable soporifique indispensable au maintien de l’ordre symbolique” ?
Des émissions de téléréalité aux talk-shows, en passant par les éditions spéciales des chaînes d’info en continu, les JT de l’inoxydable Jean-Pierre Pernaut et les émissions politiques, Gontier montre, exemples précis à l’appui, que les valeurs exaltées par le champ audiovisuel coïncident étonnamment avec celles du marché et de la concurrence.
La télévision surajouterait-elle sur la presse pour offrir au système une longévité maximale ? L’insistance avec laquelle l’ensemble des chaînes a pris acte de la disparition des classes sociales et de leurs antagonismes, a quelque chose de tellement arrangé, que cela paraît quasiment commandité, hallucinant !

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Suit une liste non limitative de ce que chacun peut observer devant les étranges lucarnes : tyrannie des émotions grâce à la multiplication des faits divers, amour de la compétition (des JO à Koh-Lanta et le foot surtout, empereur de l’audiométrie), sexisme, consumérisme (sauf Arte sans annonceur), ethnocentrisme, etc… la télévision, mass-média par excellence, valorise l’insignifiance, presque par réflexe.
Avez-vous remarqué comme le temps qu’il fait et fera demain prend une part de plus en plus importante dans les journaux télévisés ? La “poussée du mercure” vers le haut ou vers le bas mobilise l’attention de longues minutes. On ressort le couplet que les vieux dans les hospices ne boiront jamais assez. C’est particulièrement vrai cette semaine, alors que la Turquie est en passe de devenir une nouvelle Syrie et à part l’excursion de dix chars turcs de l’autre côté de la frontière, c’est tout ce que l’on sait de ce qui bouleverse déjà les données du conflit au Moyen-Orient.
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1. Ma vie au poste – Huit ans d’enquête (immobile) sur la télé du quotidien (La Découverte), 264 pages, 17 €

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