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Serviles.

On ne peut mieux déterminer le pire de cette société libérale qu’en appelant « servilité », ce que la bourgeoisie dominante appelle un consensus entre le bailleur de la tâche et celui qui loue ses services pour son exécution et qu’elle appelle « contrat de travail ».
La servilité peut revêtir mille aspects et n’être après tout qu’une disposition de la personne, mais nul ne naît servile, on le devient. Cette servilité se cache derrière l’impossibilité de se soustraire au travail, quand on n’est pas né pourvu, sous peine de déchéance civile.
Il existe sans doute des degrés dans la servilité, au point que dans certains cas le travail est intéressant, on a l’air d’y être son propre maître avec de larges initiatives, d’y être utile enfin, au point qu’il y devient difficile d’appeler cette condition une servitude ! L'habitude de la servilité crée même des liens avec elle. Certains pensionnés dépérissent d'ennui !
Pour manger à sa faim, il faut travailler dans la plupart des cas. S’il y a trente six manières de le faire, certaines pourraient s’appeler corvées, d’autres des sinécures. En général, les corvées sont moins bien payées que les sinécures.
Pour que la société ait une certaine cohérence et soit soutenue par des réussites, certaines professions sont réglementées non pas par le bailleur, mais par des conventions d’État, régies elles-mêmes par des « ordres », celui des avocats, des médecins ou des statuts relevant de l’ordre social, notaire, police, justice, etc.
Pourquoi contingente-t-on par un nombre donné (le numéro de l’INAMI des médecins) la quantité de travailleurs dans certains cas, alors qu’on laisse dans un autre autant de maçons ou de chaudronniers que l’on veut, ceci à seule fin que le nombre influe sur les salaires en les mettant en, concurrence ?
Le payement, quand il n’est pas codifié se fait à la tête du contractuel, sinon il fait l’objet de critères et de conventions, sur des qualifications et des diplômes. Échappent à cette condition de louage les bailleurs et les détenteurs d’une masse d’échange en titres, en propriétés ou en argent.
Ces arrangements se font sur la base du profit. Cela consiste à retenir une part du travail d’autrui pour s’enrichir, sinon végéter sur le sien propre servant à peine à se nourrir.
C’est intéressant d’expliquer les sociétés modernes de la sorte. Cela simplifie les choses et montre que sous les grands mots et les envolées lyriques, le travail et le profit ont des intérêts souvent opposés, tout en étant complémentaires. Du coup les définitions du vice et de la vertu, selon que l’on travaille, que l’on soit un oisif fortuné ou que l’on vive aux crochets de la collectivité peuvent venir d’étranges sources de raisonnement.
Voilà qui ramène tout à la philosophie, loin du théâtre d’illusions que les dirigeants ont bâti sous prétexte de démocratie et d’avancée sociale.
« Ratés, nous le sommes tous » définit Mallarmé, si l’on tient compte de l’aplatissement de presque toute l’humanité dans une servilité massive.

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La servilité est vécue à tous les âges de la vie et à tous les étages de la hiérarchie sociale. Il y a toujours quelqu’un dont notre avenir dépend, une chicane économique à laquelle on ne peut se soustraire qu’en aliénant son indépendance.
À ne pas confondre avec solidarité et esprit de famille, l’engagement volontaire pour une cause, un travail nécessaire, l’accomplissement d’un devoir envers quelque chose de respectable. Ce ne sont pas des servilités dégradantes, même si certaines « obligations » sont lourdes à porter, même si le devoir est parfois une perte de la liberté dans un ressenti pénible, une contrainte.
L’utilitarisme hautement apprécié par le libéralisme contamine aujourd’hui l’ensemble de la société dans le seul intérêt du productivisme.
C’est l’option majoritaire, celle sans laquelle les esprits du temps emportés par l’utilitarisme ne trouvent rien d’approchant.
Une idée originale, celle dont on dit sortir de l’ordinaire, ne se discute pas sans heurter de front l’entendement du plus grand nombre. Surtout si le plus grand nombre est dans la servilité depuis trop longtemps pour se souvenir du contraire.
Tous les malheurs actuels viennent d’un manque de contrepoids aux affirmations solennelles et aux certitudes affirmées avec la force de la foi.
Le plus important phénomène de l’anéantissement des ressources naturelles, l’impossibilité désormais de revenir en arrière et retrouver un monde disparu devraient pourtant nous alerter sur l’effet corrosif de cette servilité presque générale.
Ce qui nous retient porte sur ce que nous croyons être du confort et qui n’est que du conformisme, dont il faudra bien un jour nous défaire, à moins que des forces que nous ne contrôlons pas le fassent pour nous.
Nous devrions réfléchir aux fondamentaux et revenir aux concepts de Rousseau, sur le destin de l’homme, la notion de propriété et le fallacieux prétexte d’une organisation démocratique qui fait que des pans entiers de la population travaillent sans le savoir pour le compte d’inconnus basés aux antipodes.
Peut-être est-il trop tard ?
Peut-être sommes-nous devenus tellement serviles que c’est cette condition là que nous préférons le plus ?... que les héros que nous avons choisis sont dans le meilleur des cas des voyous et que seuls les voyous nous plaisent au point que nous les saluons, que nous les honorons et que nous nous ferions tuer pour eux ?

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