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Magnifique Josée Kamoun !

Josée Kamoun entre dans l’univers très convoité des grands traducteurs, avec la nouvelle traduction de « 1984 » de George Orwell.
Quelle femme Josée Kamoun ! J’ai lu comme tout le monde ce chef-d’œuvre d’Orwell dans ma jeunesse. La nouvelle version, c’est un coup de fusil. On en a plein la tronche de ce qu’on avait raté la première fois de Big Brother. On entre de plein pied dans l’univers glaçant d’Orwell où la parole remplace la pensée.
Traduire sans trahir, même si le traducteur prend des libertés avec la forme, là est la question. Cela revient à choisir le niveau de langage qui permettra de trouver les mots les plus justes. Comment transposer en français «The air bites shrewdly. Very cold» (Hamlet, scène IV, acte I)? par «Ça caille» ? ou «Ça pince» ? Chez Orwell c’est pareil, qui dit choix dit options diverses, laquelle choisir ?
"Big Brother" est maintenu alors qu’on aurait pu écrire « Grand Frère », "novlangue" devient neoparler... les mots qui hantent le livre d'Orwell sont passés dans le langage courant. Josée Kamoun fait vivre autrement un texte qu’on croyait connaître, alors que l’emploi du présent, au lieu de l’imparfait, est une nouveauté capable de rendre l’histoire plus proche et vivante.
La "doublepensée" qui rend possible l'inversion du sens des mots est restée. Mais "les slogans du Parti" ont été légèrement modifiés et sont désormais plus fidèles à l'original en anglais. "Guerre est paix" ("War is peace" dans la version originale) remplace "la paix c'est la guerre", "Liberté est servitude" ("Freedom is slavery") a été préféré à "la liberté c'est l'esclavage". Quant à "L'amour c'est la haine" qui était jusqu'à présent dans la version française, il est remplacé par "Ignorance est puissance" ("Ignorance is strength" dans la version anglaise).
Pour ceux qui ne l’ont pas lu "Big Brother", celui-ci nous observe « Big Brother is watching you », on y suit la tentative de résistance à ce régime, un fonctionnaire de 39 ans, son échec et sa rééducation par le système plus fort que lui, à l’égal de Julia, la jeune femme qu’il aimait et qu’il reniera. C’est donc une fable politique et un roman d’amour en même temps.
Traduire une deuxième fois ce monument de la littérature mondiale n’allait pas de soi.
Peut-être aussi ai-je relu Orwell avec les yeux d’aujourd’hui, effrayés de reconnaître à certains traits de notre démocratie, le progrès des germes d’une autre société, plus proche d’une dictature que de l’idée que nous nous faisons de la démocratie.
« Publié en français pour la première fois il y a près de septante ans, le chef-d’œuvre de George Orwell, 1984, reparaît chez Gallimard dans une nouvelle traduction dont l'ambition est "de restituer la terreur dans toute son immédiateté », voilà ce qu’en dit la pub faite autour de l’événement. Pour une fois la pub ne ment pas.
Josée Kamoun rend hommage à la première traductrice Amélie Audiberti, grâce à laquelle tous les francophones ont pu lire Orwell.

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Pour l'éditeur cette nouvelle traduction "plus directe et plus dépouillée" tente de restituer "les tonalités nostalgiques et les échappées lyriques d'une œuvre brutale et subtile, équivoque et génialement manipulatrice.
La philosophie qu’on retire de l’œuvre n’a pas changé dans la dernière traduction. Au contraire, elle s’est renforcée de nos effondrements de 2018.
Dans le roman, Big Brother trouve les formules qui détruisent l’humain sans l’alerter, car sa maîtrise de la psychologie lui épargne la douleur. Le projet est que les gens ne se plaignent de rien, en enlevant la conscience réelle des contraintes, donc d’être heureux. On y vient en Belgique avec l’augmentation de la durée du temps de travail en heures supplémentaires ou en deuxième boulot, par la nécessité de ne pas crever de faim. Le défoulement des foules sur le bouc émissaire, le péon Mexicain transfrontière aux USA et du gonflable que des bonnes âmes du continent souhaitent perdu en Méditerranée avec beaucoup de gens à bord. Les ressorts du pouvoir et de la manipulation, c’est toute notre représentation politique qui dès qu’elle a une parcelle d’autorité tente de nous manipuler.
Alors que leur seul but est le même que poursuit Big Brother dans « 1984 » : comment faire en sorte que nous acceptions une réduction volontaire de notre liberté ? À ce propos, Daech a bien involontairement aidé nos élites dans ce sens.
Enfin, les Régimes forts, par la torture, qu’elle soit physique ou morale, font dire tout ce qu’ils veulent à n’importe qui.
En Chine, il existe déjà 900.000 caméras de surveillance dans les lieux publics.
En Belgique, le MR – il n’est pas le seul parti – est pour la généralisation de cet équipement. Heureusement, il reste encore la liberté de croire ce que l’on veut dans son for intérieur.

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