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Sabina.

Comme je l’ai écrit avant-hier « c’est l’été » et si, à la fois, il est permis de folâtrer et de sortir des sujets habituellement traités, pourquoi pas se laisser aller aux joies de la lecture ?
Par exemple, celles que procure « La tache », le livre du grand écrivain américain Philip Roth, probablement le plus doué de sa génération ! Au détour d’une page, je me suis arrêté sur une de ses citations extraite de « Soleil Noir » qui traite de la mélancolie, signé Julia Kristeva, écrit fin des années quatre-vingts, ça ne nous rajeunit pas. Et cette femme exceptionnellement douée, professeur à l'université Paris-Diderot, fondatrice du centre Roland Barthes, psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de France, etc., est connue, au grand dépit des féministes, par son lien avec Philippe Sollers dont elle est l’épouse !
Et voilà qu’apparaît dans les colonnes du « Monde », un article infamant, extrait des archives de la police bulgare. Elle aurait espionné en France pour le compte de son pays d’origine, cet État bulgare qui a exercé une féroce répression, en exécutant les basses œuvres du KGB (1) !
Une révélation qui « constitue une atteinte à mon honneur et à ma considération » et « porte tout autant préjudice à mon travail », dit-elle en niant avoir espionné la France. En effet, cette révélation, si elle s’avérait exacte, la déshonore gravement et décrédibilise complètement son travail.
Les services secrets bulgares l'auraient recrutée dans les années 1970, sous le pseudonyme de "Sabina", mais elle se serait montrée "peu disciplinée". Arrivée en France en 1966, ce ne serait donc que quelques cinq à six ans plus tard, qu’elle aurait été « approchée » ?
Toujours selon les archives, la sécurité d'Etat l’exclut de l'appareil de collaboration début 1973", "car elle ne désire pas travailler" !
Pour le reste, les archives contiennent plus d'informations sur la biographie de Mme Kristeva et ses positions politiques, que d'informations émanant de sa part. Aucun rapport de sa main n'y apparaît.
Seule motivation possible, le désir d’exfiltrer ses parents, à l’époque en Bulgarie.
Ma première réflexion tient à la force de son œuvre, à son intelligence et son empathie pour les gens. Tout est là. J’admire cette femme pour ce que j’en ai lu et cette admiration est intacte. Peut-être n’aurais-je pas acheté « Soleil Noir » si le « Monde » avait publié plus tôt l’information. C’est stupide, puisque voilà trente ans que j’ai lu le bouquin.
Eh bien ! j’aurais eu tort.
C’est tellement loin, les circonstances dans ces années-là !
Peut-être a-t-elle voulu sauver ses parents par une compromission sans importance ? Cette femme intelligente leur dorait la pilule. Ce qu’ils surent, puisqu’elle fut déclassée très vite.
Et si elle n’avait pas du tout collaboré ? Les services spéciaux avaient besoin de paraître plein d’activités, ne serait-ce que pour alimenter le service des archives. Tout poisson pouvait entrer dans la friture, même à son insu.
Admire-t-on l’œuvre de quelqu’un parce qu’il est irréprochable, encore faut-il savoir ce que l’on entend par là ?

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Est-ce qu’un universitaire dérangé du bocal ne fera pas un jour un reproche à Euripide, plus de deux mille quatre cent vingt-quatre ans après sa mort ? Dans sa pièce « Alceste », Euripide montre une âme de lâche. Apollon fait don de la vie éternelle à Admète, à chaque fois que viendra le moment de sa mort, Admète devra trouver un remplaçant qui acceptera de mourir à sa place ! Admète va demander ce sacrifice à ses parents, puis à son épouse Alceste. Seule cette dernière accepte d'offrir sa vie pour lui.
Julia Kristeva aurait sauvé ses parents de la sorte ?
Mais l’intelligentsia parisienne l’entendra-t-elle ainsi, à cause de la suffisance de Sollers, l’époux ? On le jalouse encore de son aventure avec Dominique Rolin, de vingt-trois ans son aînée, enfin un peu moins, depuis qu’Emmanuel Macron se trouve dans le même cas.
D’autres, attablés dans une brasserie concurrente diront qu’il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’une femme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages
Est-ce qu’un menteur pathétique, un vendu notoire, un salaud de nature est incapable d’écrire un chef-d’œuvre ? Certainement ! On a même le sentiment que certains livres saints ont été écrits par de fameux lascars.
Reste qu’on a décoré l’auteure de la légion d’honneur, qu’elle s’affirme pour une grande âme au service de la psychanalyse et qu’elle est un des fleurons littéraires de son pays d’adoption.
Alors là, je me marre. Croire qu’on n’est que l’apparence de ce que les autres voient de nous, c’est comme si on portait aux nues Bart De Wever héros du sauvetage de quelques malheureux perdus sur un gonflable en Méditerranée, alors que nul n’ignore que c’est pour percer le pneumatique qu’il serait à pied d’œuvre et qu’à son retour, on le décorerait grand’croix, sauveteur de première classe.
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1. Des pièces du dossier sur la collaboration de Julia Kristeva avec les services secrets bulgares ont été rendues publiques le 30 mars 2018

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