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Vive le foot, nom de Dieu !

« A Annecy, un homme s'est tué en plongeant dans un canal, dans une trop faible profondeur d'eau. Selon le quotidien Le Dauphiné Libéré, la victime, âgée de 50 ans, est tombée sur la nuque en sautant dans l'eau au coup de sifflet final. L'homme est décédé des suites de ses blessures malgré l'intervention des secours. »
Ah ! on n’en peut plus !
Fallait-il bien que nos voisins gagnassent la coupe du monde de football et que nous finissions troisième du tournoi !
C’est trop.
Quand je pense à la pauvre Anne-Sophie Lapix qui s’était permise bien avant l’apothéose quelques petites remarques sur les millionnaires du football et dont on ravive les paroles imprudentes, au risque qu’un illuminé lui fasse la peau de l’avoir osé, oui, vraiment les foules n’ont pas changé depuis qu’en 416 avant Jésus-Christ, Alcibiade jeune Athénien beau comme un dieu, se voyait offrir une tente avec séjour gratuit, tandis qu’Athènes l’autorisait à utiliser les vases d’or de la Cité pour célébrer sa victoire aux Olympiades.
C’est sidérant de visionner les bouts d’image d’un Macron déchaîné se faire taper sur l’épaule et tutoyer, tutoyant lui-même comme un charretier ses chevaux, alors qu’il y a quelques jours à peine, il reprenait un collégien qui l’interpellait trop familièrement dans la foule !
Et ce militaire français trimballé dans sa chaise roulante dans le vestiaire des bleus, loin de moi la pensée de le ridiculiser et encore moins d’amoindrir ses souffrances et son mérite, mais que diable faisait-il là, sinon servir involontairement la passion désormais dévorante du président pour le football « qui gagne ».
Cette séquence me fait souvenir du personnage de Céline dans le « Voyage au bout de la nuit », le sergent Branledore !
Branledore apparaît comme un modèle. Il a su retenir « la sympathie active des infirmières », grâce à une posture d’engagement en faveur de la victoire française, de patriote, mis en valeur par la répétition du nom « victoire » et le discours direct : « Victoire ! Victoire ! Nous aurons la victoire ! » Ce n’est pas en raison des ses blessures physiques, qu’il parvient à obtenir « les bonnes grâces toutes spéciales du personnel traitant.
Il y a dans cette foule massée aux Champs Élysées quelque chose d’effrayant, c’est la démission générale de toute preuve d’intelligence, y compris des intellectuels présents, au nom d’une foi et d’une ferveur irrépressible !
Ces foules-là sont bonnes à tout, le pire comme le meilleur. Il n’y entre ni calcul, ni aucune forme de raisonnement, c’est une ferveur moyenâgeuse qui puise sa force dans les instincts les plus primitifs.

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Ceux qui sont l’objet de cette vénération de masse ne peuvent jouer d’autre rôle que celui de se laisser admirer comme les reliques d’un saint. Si l’un d’entre eux venait à tenir un discours modéré du genre d’Anne-Sophie Lapix, par exemple la superstar des bleus, sa majesté Mbappe, « Attendez, ce n’est qu’une partie de football. La Belgique aurait pu nous battre 3-0 le tour avant, la Croatie pareil. Nous avons gagné, c’est bien, mais n’allez pas y voir autre chose qu’un bon match de foot, au cours duquel nous avons eu beaucoup de chance ». Mbappé se ferait écharper sur le champ !
Comment des élus politiques peuvent-ils subsister dans ces tempêtes humaines ? En faisant comme Macron pour les plus aguerris, proches des foules sportives ou en se faisant oublier le temps nécessaire à la dispersion des agités et la revenue de toutes les formes d’intelligence à tous les niveaux.
L’homme politique est un candidat éternel, soit à sa succession, soit aux emplois différents qu’offre la démocratie. Devoir s’imposer sans discussion est capital. La foule ne sait plus grand-chose dans son bouillonnement, sauf qui a marqué un but ou quand le portier de l’équipe s’est fait prendre le ballon comme un débutant. L’homme politique qui ne veut pas raccrocher les gants et qui descend dans la rue pour fêter ça doit impérativement ne pas se tromper sur les événements du match et du nom des joueurs.
C’est un exercice où plus d’un aurait mieux fait de s’abstenir.
Il est impensable que l’un ou l’autre batteur d’estrade fasse comme Anne-Sophie Lapix, ce serait proprement suicidaire. Vous n’en entendrez jamais aucun se dresser contre ce genre de connerie collective. Tous de grands sportifs, comme Macron, comme Poutine, à cent lieues de ma démarche positivement mauvaise, ils sont supporters dans le sang, comme Mathot père et fils raclant des voix jusque dans les dortoirs des maisons de retraite de Seraing, tout sucre, tout miel, à l’embrassade des prothèses, comme le cuir des ballons.
Dans ces moments-là on perçoit comme la démocratie, le sens de la critique et l’intelligence, ne signifient pas grand-chose à la multitude.
C’est là malheureusement où la droite marque des points.
Après l’explosion populaire, la nuit de folie, ce sont les gens de droite qui se ressaisissent le plus vite. Ils ont d’autres bonheurs en vue, d’autres préoccupations, des projets de vacances, etc.
Les gens du peuple n’ont d’autres perspectives que le travail et la morosité des jours. Un enthousiasme collectif les a momentanément dispensés de souffrir la routine des jours. Aussi entendent-ils prolonger le délire le plus longtemps possible. Certains iront jusqu’à le garder toute leur vie de travail, pour résister à la tentation de se foutre à l’eau.
Voit-on un Conseil d’administration, dans la semaine suivant le délire collectif, se livrer à deux heures d’exclamations dithyrambiques à propos de l’équipe de France ?
Mais on voit très bien une équipe d’atelier tuer le temps tout le mois suivant en fines analyses des temps forts du match, boostée par la monotonie et la débilité des tâches répétitives.
Voilà pourquoi le tribun de gauche, l’homme du peuple, le ténor des partis ouvriers, perdent un temps précieux à faire revenir l’homme du peuple à la réalité du temps de travail et des bas salaires.
Et encore, ne peuvent-ils, sans risque, placer la contemplation des athlètes de leur sport favori dans la catégorie des opiums du peuple, qu’eût désavouée Karl Marx lui-même, à la fois philosophe et porteur d’eau de son propre système.

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