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Dimanche, on vote !

On touche à dimanche par le fil de plus en plus ténu d’un petit jour et d’une petite nuit.
Les candidats ne sont plus à prendre avec des pincettes. Certes, dans leur regard passe toute l’affection du monde pour les passants. J’ai croisé Bacquelaine en plein Pont d’Avroy. On aurait dit un épouvantail dans un champ de colza sur une trottinette. Il a croisé mon regard. Il a vu que je le connaissais en tant que Libéral habitant Chaudfontaine. Il a compris qu’il ne devait pas me dire bonjour. C’est une question de coup d’œil et de rapide décision. Il n’a pas insisté. Je l’ai perdu de vue qui remontait le boulevard de la Sauvenière, en levant les yeux sur les façades, comme un touriste hollandais qui ne sait pas où il va...
Il devait être à cran. Pour ne fois, pas question d’y voir une question de pognon, d’honneur nouveau, de décoration supplémentaire, non, il était attentif à ne pas commettre d’impair en attendant dimanche soir, moment auquel il reprendrait la vie comme avant, c’est-à-dire monstrueusement égoîste de l’homme qui a réussi et qui croit que cela n’est dû qu’à son mérite, qu’il estime sans doute exceptionnel, comme tous ceux de sa sorte.
Les radios multiplient les interventions de nos illustres et des moins illustres, selon un ordre établi en temps de paroles qui ne changent pas grand-chose à la réalité quotidienne, même si on entr’aperçoit des candidats dont on n’a pas l’habitude à demander l’avis puisqu’on ne les voit jamais.
Et pourquoi certaines indifférences du public et certains engouements ?
Le gros des électeurs ne s’intéresse nullement à la politique, même pas derrière le rideau devant la petite tablette et le crayon rouge, toujours bien taillé, à croire que la mine aux élections ne s’use jamais.
Comment font-ils pour se décider à la dernière minute ?
C’est un mystère. À ce niveau de béate indifférence, seuls ceux qui sont furieux d’avoir été dérangé pour une connerie votent pour n’importe qui, plie le document sans même regarder ce qu’il y est écrit, ou utilise le fameux crayon rouge pour quelques graffitis généralement obscènes. Rares sont les écrivains tant ils savent que leur prose ne passera pas à la postérité.
Toute la gestuelle de l’élection est là, dans un effort d’une minute de réflexion, après une petite marche du domicile à l’école où l’on vote.
On a remarqué que la pluie joue un rôle, moins dans la bouderie du devoir de citoyen, que dans la mauvaise humeur qui consiste à changer d’avis en dernière minute pour voter pour un parti dont on ne connaît absolument rien de ce qu’il présente pour appâter l’électeur.
Aussi les petites listes aiment la pluie.

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L’électeur qui croit que son vote est important et que son choix va bouleverser le paysage politique est extrêmement rare. Quand on interroge sérieusement les gens, presque tous sont d’accord pour dire que l’élection ne changera rien et qu’on passe à côté de la démocratie, que pour en faire, il faudrait passer par autre chose. Mais quoi ? On n’en sait rien et on n’en saura jamais rien, si on n’essaie même pas de vouloir changer ce qui est, en ce qui n’est pas encore.
Car enfin, tout le monde sait que cinq minutes de civisme une fois tous les cinq ans ne va pas changer, quoi que ce soit, dans la détermination de ceux qui se croient tout permis par ce petit tour de passe-passe.
Le dimanche soir quand les dés sont jetés, tout s’apaise. On ne dirait pas dans la sérénité, puisqu’il n’est plus question que du dépouillement et des sièges, c’est-à-dire des emplois que les partis vont redistribuer.
Celui qui reste tendu, c’est le candidat qui, sur la liste, ne sera élu que si le parti reçoit un peu plus de suffrages favorables que ceux du score précédent. Ça s’appelle le poste de combat. Les autres, quasiment certains de repartir pour quatre ou cinq ans de bon, se sont détendus et pensent déjà à la rentrée parlementaire.
Une autre fièvre viendra beaucoup plus tard, quand les grands partis incontournables débuteront les palabres pour la formation du nouveau gouvernement. Ils auront digéré les scores à peu près tous dans une grande allégresse de victoire, même ceux qui auront perdu des voix. La propagande aura repris ses droits. À ce jeu là, il est mal venu de perdre la face et d’avouer une défaite. On ne le fait que lorsqu’elle est cuisante et que ne pas se battre la poitrine à ce moment pourrait créer un mauvais effet encore plus grave chez l’électeur.
Les élus ne le savent pas encore, enfin pour les nouveaux, la puissance économique et les vrais caïds du système politique seront là pour leur rappeler qu’on ne peut plus de nos jours diriger un pays sans eux.
À l’inverse, les électeurs, les désabusés et les exaltés, savent que l’on peut très bien diriger un pays sans leur demander leur avis ou même de mettre en pratique ce que les candidats leur ont promis qu’ils feraient une fois aux affaires.
Ils rejoindront ainsi ceux qui sont payés confortablement pour faire beaucoup de bruit pour rien.
Un infime minorité d’électeurs sortira de derrière le petit rideau du grand théâtre de la démocratie avec le sentiment navré que la démocratie aurait pu être une grande chose, alors qu’elle n’est rien qu’un simulacre, qui ne sert qu’à justifier l’injustice et l’exaction.

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