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La Dent dure !

Une drôle de dépouille : la dent de Patrice Lumumba !
Il fallait bien qu’indépendamment de nos affaires sérieuses à régler sur le champ et qu’on ne règlera pas, quelques prétextes de diversion.
Grosse chichiterie au palais royal devant cette relique exposée au palais d’Egmont à Bruxelles, avec les processionnaires d’usage des grands événements : vieilles putes de la Haute Administration, délégations d'officiels belges et congolais. Partout en ville, d'un square de la porte de Namur à l'ambassade du Congo, on l’a célébrée. À son départ pour un tour du Congo, un orchestre militaire a joué pour elle sur le tarmac de l'aéroport de Melsbroek ! Il est prévu qu’elle entre dans un reliquaire conçu pour elle à Kinshasa le 30 juin pour y être vénérée, jusqu’à ce que quelques générations plus tard, on la prenne pour celle d’un Saint colonisateur, lorsque des bijoutiers auront désenchâssés les pierres précieuses, elles seules éternelles.
Cependant, si cette dent c’est tout ce qu'il reste de la dépouille de l’homme de l'indépendance congolaise, elle remet sur le tapis l’exécution de son ancien propriétaire moins d'un an après la déclaration d’indépendance unilatérale du Congo.
Et là, cela devient intéressant. Non pas que l’on en apprenne des vertes et des pas mûres sur la façon dont on traitait les Congolais, tout se savait déjà, mais ne faisait que se murmurer dans les salons, avec des réprobations du genre « comment a-t-on pu ? » ;
Hé oui ! au nom du fric et des propriétaires belges des richesse du Katanga, on a pu… dans la nuit du 17 janvier 1961, des officiers belges et des complices sécessionnistes de la province du Katanga, au sud du Congo, firent fusiller Patrice Lumumba. Son corps, découpé puis dissous dans l'acide par le commissaire belge Gérard Soete (dit Soete-caustique) – qui suivait alors des ordres officiels– rendit à ses assassins quelques dents, dont celle remise aujourd'hui à sa famille.
Vous pensez bien que l’histoire de ce crime, perpétré par les plus hautes autorités morales du pays pour des questions de fric, est restée secrète pendant quarante ans. A la fin des années 1990, un historien et sociologue belge, Ludo De Witte, s'est penché sur l'événement pour en peaufiner les contours.

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De ses recherches est sorti, en 2000, un livre-enquête qui a permis au public de juger d’actes des grands commis d’État. L'assassinat de Lumumba établit la responsabilité active du royaume de Belgique dans sa mort. À croire que l’opinion était déjà chloroformée, cela ne suscita que quelques travaux universitaires. L’information selon laquelle le commissaire belge Gérard Soete avait conservé chez lui, comme un trophée de chasse, deux dents issues des restes du Premier ministre congolais, un peu vantard, de « les lui avoir arrachées », ne souleva nulle demande d’explication de la part des gens. Dame, les milieux libéraux avaient répandu depuis tellement longtemps l’information « de source sûre » que Lumumba était un communiste dangereux, qu’on croyait les coloniaux en train d’aider le peuple congolais à construire une démocratie !
Malgré tout, les hauts dignitaires du royaume n’échappèrent point à une commission d'enquête parlementaire qui, en 2001, reconnut la «responsabilité morale» du pays dans la mort de Lumumba, sans conclure à sa responsabilité pénale. Ouf ! à l’Armée certains hauts gradés respirèrent et des notables se voyant déjà obligés de rendre leur médaille de l’Ordre de Léopold à la Nation, reprirent du poil de la bête.
En 2022, vingt années plus tard, la famille de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo indépendant, a finalement récupéré ce qui restait de sa dépouille, à la faveur d'une récente décision de la justice belge ordonnant sa restitution.
« La fin d'une immense attente pour ses proches, auxquels cette cérémonie offre enfin la possibilité du deuil: «Je ne peux pas dire que c'est la joie, mais c'est positif qu'on puisse enterrer le nôtre, en tant qu'Africain, en tant que Bantou. Son âme va pouvoir reposer en paix», posait Roland Lumumba, l'un de ses fils, vendredi, face à la presse. Il voit aussi dans cette restitution très symbolique l'occasion d'entamer un nouveau chapitre dans l'histoire des relations entre le Congo et la Belgique, pour «ouvrir une nouvelle ère […] et bâtir l'avenir ensemble», en laissant de côté les rancœurs légitimes. » (Slate magazine)
On en arrive aujourd’hui à vouloir faire fondre la statue du roi Léopold II à Bruxelles, Alexander De Croo est de cet avis. Comme quoi, il semblerait qu’une longue histoire d’exploitation humaine semble moins grave qu’une trop récente. Les crimes dilués sur plus d’un siècle doivent être plus facilement soluble dans l’oubli.

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