« François Villon auprès de la fontaine… | Accueil | Foutez plus rien ! »

Profession : comédien.

On ne choisit pas sa profession. Entraînement fortuit, hasard, circonstances, les parents, parce qu’ils sont dedans ou au contraire, pour ne pas faire comme eux, voilà le plus souvent ce qui décide d’une « carrière ». Les métiers auxquels l’enfant a joué, n’engagent pas forcément l’adolescent, sans quoi tout le monde serait pompier, détective ou médecin.
Notre époque, vouée à la nécessité, habituée à nous vendre l’emploi disponible, tient lieu de tout, y compris une orientation raisonnée. Encore bien heureux d’être apprenti coiffeur, quand on voulait devenir boulanger. La vocation impérative n’est plus qu’un luxe hors de prix. On n’a pas la vocation impérieuse de faire soudeur à l’arc ou manutentionnaire chez DHL.
L’enfoiré du FOREM n’a plus à orienter qui que ce soit. Il case comme il peut selon les directives du Ministère. Si vous voulez qu’il se foute de votre gueule, vous n’avez qu’à dire que vous avez une vocation. Surtout ne dites jamais que vous voulez devenir comédien ou écrivain, ou trapéziste. Ces professions n’existent pas dans le panel des demandeurs d’emploi.
Vous en avez la vocation ? Tant pis pour vous et allez vous faire foutre. La Comédie française n’engage pas d’apprentis et Gallimard n’a plus le temps de lire les tonnes de manuscrits qui passent ainsi directement du sac du facteur à la poubelle.
Par contre, certaines vocations « raisonnables » accomplies donnent au choix une indication psychologique.
Je me suis toujours demandé ce qui poussait un médecin à devenir gynécologue ?
Il en est de même du métier si difficile à ses débuts de comédien, difficile par la rareté de l’embauche, à tel point que la plupart de ceux qui veulent l’exercer ne seront jamais appelés à en vivre, difficile par le long apprentissage qu’il nécessite. Les « natures » sont rares. Le talent se travaille aussi durement qu’une ballerine à la barre toute la journée pour deux entrechats le soir. Qui dira jamais les frustrations cachées du comédien amateur ?
Notre société n’a que faire de l’art, en-dehors de la valeur refuge, monnaie d’échange et de spéculation. Le fric ne se ramasse pas sous les pas des artistes, si l’on excepte quelques-uns, juste là pour ne pas désespérer les autres.

acteur.JPG

Le désir de devenir acteur est une conclusion à une décision réflexive. On ne se dit pas : « Que ferais-je comme profession ? Je vais faire acteur ! » suite à une question des parents. On a d’abord la passion d’interpréter des personnages.
On se cherche devant une glace. Le reflet qu’on a de soi est une personne variable, inconsistante. A peine s’est-on glissé dans la peau d’un autre que c’est un étourdissement de bonheur et la révélation de ce que l’on sentait confusément et que l’on perçoit comme étant ce que l’on voulait de toujours.
Entre soi et le personnage, la différence est minime : il s’agit d’une conjugaison à la troisième personne du singulier « IL » qui dit « JE ».
Le personnage recréé n’a pas attendu que vous naissiez pour avoir une existence propre. C’est parfois un personnage classique dont des livres entiers ont consacré le caractère, les mœurs et l’histoire. Les inflexions de la voix, les attitudes des aînés qui l’ont interprété avant vous restent longtemps dans les mémoires.
Il existe, il vit. Ne dit-on pas d’un bon acteur qu’il joue « juste » ? Par rapport à quoi ? Et comment le saurait-on, si ce n’est par recoupement et ancienne critique ?
Les réactions affectives du personnage sont tenues pour authentiques. Alors qu’on refuserait toute créance à l’acteur dans la vie, le fait d’interpréter, le crédibilise. L’acteur n’a qu’à prendre la peine d’exprimer ce qu’il ressent à travers les mots qu’il dit pour un autre, pour paraître aussi « vrai » que Molière ou Racine l’avait imaginé. Tel qu’en lui-même l’éternité au lieu de le figer, le modifie et le rend perceptible au temps présent.
L’acteur ressent la rigueur et la précision de la machinerie dramatique du fait que les gestes et les répliques s’imposent à lui dans leur enchaînement comme autant d’impératifs.
Le rôle se présente comme un être-autre qu’il doit intérioriser.
L’apprentissage d’un rôle est un processus systématique d’appropriation de son être-autre par la mémoire, l’intuition et la recréation.
Le comédien se trouve en tant qu’acteur chargé de mission.
C’est la volonté d’un auteur disparu qui insuffle chaleur et vie à ses créatures. Sans l’interprète qui les réactualise, elles mourraient sur les étagères des bibliothèques.
Une autorité souveraine impose de devenir un autre que soi. Une volonté a la bonté de se soucier de l’autre. C’est rassurant et confortable.
L’auteur fait don d’un personnage qu’il a méticuleusement préparé rien que pour celui qui l’incarnera.
Ce mandat protège l’acteur contre l’homme de la ville, qu’il est aussi, lorsqu’il descend des tréteaux.
Même exproprié du personnage, l’acteur sait qu’il ne quittera pas tout à fait le monde de l’imaginaire.
….
Mon intention était d’écrire une sotie (farce du moyen âge) sous le titre « les Beaux emplois du FOREM. C’est tellement beau le métier d’acteur et tellement éloigné de tous les métiers merdiques que l’on jette en pâture aux populations grelottantes de faim et de froid, que je n’ai pas eu le courage d’éveiller ma seconde nature que des esprits critiques pourraient appeler le mauvais/bon génie de la démolition.

Poster un commentaire