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L’homme de demain sera flexible ou ne sera pas.

Ainsi en auront décidé ceux qui pensent pour nous, agissent pour nous et… vivent de nous !
Le discours officiel nous le chante sur tous les toits : « La société que nous avons forgée pour nous et pour notre bonheur, comme nous le croyions naïvement, nous échappe. Nous sommes les Frankenstein de la modernité. Patiemment, pendant de nombreuses années nous avons forgé au secret de nos laboratoires un homme nouveau qui ne nous ressemble en rien.
Le monstre sitôt sorti de la salle d’opération est appelé à vivre dans le précaire, dans les lendemains qui déchantent. C’est un nomade qui ne possède rien que sa force de travail dont on ne veut pas tous les jours. Il doit se dire « mobilisé » et prêt à répondre à n’importe quelle offre d’emploi. Il a organisé en PC sa caravane dans laquelle il vit (c’est un nomade). Il attend les instructions du FOREM.
Un emploi de boulanger à Termonde, alors qu’il habite Verviers et qu’il est menuisier, ne doit pas le rebuter. Il se déplace, il se remet en cause dans des stages, il apprend le flamand, en un mot il est flexible.
Sa disponibilité est telle qu’il a abandonné depuis longtemps le désir de fonder une famille. Il aurait bien voulu, mais les circonstances sont là. Il est sous-payé en attendant d’être chômeur momentanément pour se lancer dans un stage qui lui évitera une pénalité dans ses allocations.
La jeune fille qu’il avait rencontrée et avec laquelle il avait songé à fonder une famille est sortie du même laboratoire que lui et a les mêmes perspectives d’avenir. Pire encore, parce que c’est une femme.

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Mais programmée pour le travail, elle s’est décentralisée à Anvers où elle est barmaid sur le port, étant entendu que les offres d’emploi non satisfaites dans le métier de pute sont parmi les plus élevées dans la Belgique nouvelle.
Elle est naturellement devenue flexible sur les multispires de son lieu de travail.
Enfin la flexibilité générale a fait baisser le nombre de demandeurs d’emploi, ce qui a permis à la Belgique d’offrir au monde la vitrine d’une prospérité nouvelle, grâce à cela tous les partisans de la flexibilité accrue ont naturellement augmenté leur niveau de vie. Même la population flexible a évolué considérablement. Plus pauvre qu’avant, sa préoccupation majeure qui est de trouver à s’employer l’occupe tellement qu’elle passe son temps entre le travail et les dépressions nerveuses qui commencent à créer un véritable souci pour la Sécurité sociale au point qu’on pense la rendre flexible aussi en n’accordant des indemnités pour les soins et les hospitalisations que pour six mois seulement, après, le patient devrait refaire un stage afin de bénéficier à nouveau d’une protection pour la dépression nerveuse suivante.
Grâce aux modèles danois et britannique, la flexibilité socialo-libérale belge s’est appropriée par mimétisme les qualités physiques nécessaires aux emplois proposés. Les jambes se sont allongées pour les couses rapides d’une offre à l’autre, les diplômes et les curriculum ont trouvé une place dans la vaste poche ventrale qui pousse désormais sur le ventre de la nouvelle génération, comme les marsupiaux, tandis que la bouche des intéressés se rétrécissait en cul de poule. Moralement le flexible s’est endurci au point de se confondre en excuse à la moindre rebuffade des gens qui n’étant pas en position d’être flexibles sont devenus cassants.
Comme l’homme nouveau n’a plus de femme, ni de domicile fixe, on lui a donné le statut d’itinérant permanent, seul le bureau électoral où il va apposer son empreinte digitale sur la feuille « oui » le jour des élections reste fixé à côté de l’hôtel de police de l’endroit de sa naissance.
Malgré cela, la population augmente légèrement chaque année, car la flexibilité ayant gagné le monde entier, il arrive que les flexibles de Nankin ou de Budapest se voient notifier un engagement pour Herstal ou Ville-du-Bois où sous peine d’être rayés des listes, ils doivent impérativement se présenter le lundi suivant la désignation.
La recherche sous cette impulsion souple a fait d’énormes progrès sur l’humain. C’est ainsi que comme le ver de terre dont certaines espèces ont le pouvoir de se régénérer et de se reconstruire quand on les coupe en morceaux, on pourra bientôt envoyer les jambes d’un flexible travailler à la poste, tandis que les bras seront employés à cirer les chaussures des fonctionnaires du Rond-point Schuman.
Des combinaisons sont possibles. Pour éviter des pertes de temps aux parades amoureuses, on est parvenu à donner à certains flexibles volontaires, on en est encore au stade expérimental, le caractère de l’escargot. Equipé des deux sexes, le flexible pourra entre ses trois ou quatre métiers satisfaire ses besoins sexuels en cours de route, sans perte de temps préjudiciable aux statistiques.
Enfin le Belge souple, flexible morcelable et hermaphrodite est devenu la référence en matière de résorption du chômage, non seulement en Europe, mais dans le monde entier, là où les jet-setters et les barons de l’économie avaient peine à recruter du personnel.
On pense qu’en 2095, il n’y aura plus que dix-sept chômeurs invétérés, non flexibles et unisexes, mauvais Belges et fort capables de voter « non » à tout progrès. Les libéraux saisis de la question veulent les parquer dans une réserve naturelle à Saint-Hubert, tandis que l’arrière petite fille de Marie Arena, ministre de la flexibilité au nom de l’efficacité socialiste souhaiterait qu’on les fusille pour haute trahison et défaut de moralité. Le lointain parent de Laurent Fabius, président de la république depuis 2093, rêvant à sa réélection, songerait plutôt à les envoyer en villégiature aux îles Caïmans, quitte à ce que le bateau sombre en cours de route.

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