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Loukoums

Ce soir-là, j’attendais sur une placette ornée d’un monument.
L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein…

Par faveur complice des ombres profondes, les lampadaires étaient éteints.
D’un café, avec des couples à la terrasse, une obscure clarté mourait sur la grille verte du monument.
Soudain, le temps scélérat s’accéléra. Il fond parfois sur vous au point de précéder vos battements de cœur.
Elle était là qui souriait, comme surgie de l’intérieur du monument.
Embarrassé de moi-même, je ne savais que dire.
Comme il ne convenait que de parler, la prendre par la main et marcher en silence ne se fit pas. Les mots sortaient de ma bouche sans que je les reconnusse. Ils étaient pourtant à moi, ces pauvres mots ; mais de semaine, alors qu’on était dimanche… ce vendredi-là.
Hier, on parlait de choses et d’autres
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres…

Le programme était archi établi. Les autres étaient là pour respecter l’archi d’établi. Je ne les voyais pas. Charmants et aimables, ils ne me gênaient pas, non, au contraire. Mais, ils apparaissaient dans un brouillard, comme les mots qu’ils disaient.
Je souriais quand ils souriaient.
Au restaurant, les chaises disposées à être investies m’offraient plusieurs combinaisons. De face je la contemplerais mieux, me disais-je. Qu’elle tournât la tête à gauche ou à droite ou qu’elle me regardât, rien de son visage ne m’échapperait. Mais, l’autre côté de la table était si éloigné, que je n’eus pas le cœur à cet exil. Je me résignai à ne voir qu’un demi visage, et je me mis à côté d’elle. Elle se tournait souvent. C’était à chaque fois comme si elle resurgissait du monument.
Ponctuant ses phrases d’un oui de la tête en me regardant, je me demandais à quoi elle disait oui : à mes paroles ou à mes sentiments ?
La vie n’est faite que de compromis. Les gens font semblant de ne pas savoir ce qu’ils savent très bien, comme dit le philosophe Parménide.
J’améliorai ma vision d’elle de façon instinctive en réduisant l’angle droit que ma chaise faisait avec mon assiette. Si bien que tourné vers elle, je posai la main gauche sur le dossier de sa chaise, d’un geste familier, frôlant des doigts le sweet-shirt bleu turquoise, à l’insu des autres.
Une seule fois, je voulus lui saisir la main sous la table, qu’elle ne m’abandonna pas. Je restai indécis une seconde la main à plat sur sa cuisse, n’appréciant pas à son juste prix ce fugace contact, tant les doigts qui s’échappèrent, ressemblaient à un vol d’oiseaux débusqué par le chasseur. Ce refus fut comme si le ciel me tombait sur la tête, alors que s’il y avait eu abandon, cela n’aurait pas manqué d’être perçu par les autres comme un signe d’appartenance.
Convenances… convenances…
La boîte de jazz termina la soirée.
Je fus tout ému de l’entendre chanter au karaoké. Elle est plus volontaire que moi qui restai lâchement sur la banquette. J’admirai son audace. Tendue, le regard rivé sur le prompteur, pleine de la concentration d’un chanteur à l’Olympia, elle était si belle que je restais interdit, plein de l’admiration qui rend bête les gens heureux.
Pendant le chant, je ne la quittai pas du regard, prêt à la soutenir en cas de défaillance, quitte à bondir sur l’estrade et reprendre, la vague histoire d’une plongeuse d’arrière salle de café avec elle..
A ce feu d’artifice, il fallait un bouquet.
Qui dit que les slows sont interminables, ne sait pas ce que c’est d’aimer la femme que vous avez entre les bras.

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Dans le confus des sentiments, bercés par les rythmes lents, c’était comme si je m’enfonçais dans un univers marin, pour revenir en surface au milieu du bassin du Taj mahal.
Son corps était collé au mien. J’en percevais les courbes. J’en sentais l’abandon…
Bien plus tard, à sa voiture, elle tendit le coup et j’y appliquai les lèvres.
Ce qui, vous en conviendrez, pour une apparition issue d’un monument public n’est pas lapidaire, mais plutôt sensuel. Les courts cheveux de la nuque n’empêchèrent rien.
Partie, je restai étourdi sur le trottoir. Ce fut seulement quand les feux rouges de la voiture disparurent au coin de la rue, que je réalisai que j’étais seul, définitivement.

J‘allais par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.
Vos chères mains furent mes guides

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