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Médisance cousue de fil blanc.

-As-tu revu Robert ?
-Ne m’en parle pas.
-Pourquoi ?
-Il est devenu bizarre.
-C’est-à-dire ?
-Complètement transformé.
-Mais encore ?
-Tu sais comme il était déjà.
-Oui. Irascible et frustré que la profession n’ait pas reconnu son « génie » ! Qu’est-ce qu’on lui avait fait ?
-Tu ne te rappelles pas ? Le peu de soutien du personnel lors de sa mise à la retraite de la maison de couture…
-Ah ! je me souviens, et aussi de son catalogue de robes conservé par la direction.
-De source sûre, il paraît qu’il avait travaillé en collaboration avec d’autres et que ce catalogue n’était que fort peu de lui…
-Et alors cette bizarrerie ?
-Il en veut à la terre entière à présent.
-Bon…
-Oui. Certains mots ne peuvent plus être prononcés devant lui.
-Lesquels ?
-Par exemple, « professionnel ». Il estime qu’il est le dernier grand professionnel.
-Non.
-Comme je te le dis. Et d’autres mots. C’est variable et on ne saurait jamais dire lesquels à l’avance. Par exemple que la profession meurt…
-Tiens comme c’est curieux. Pourtant, il n’en fait plus partie.
-C’est ainsi. Au lieu de prendre parti pour les exclus, il a viré sa cuti à l’envers.
-Il pense se faire réintégrer ?
-Non, penses-tu. J’ai vu Mimi du service Marketing. Il est complètement grillé. Son fameux catalogue est à la poubelle. On en a assez de lui dans la corporation. Il fallait voir au dernier défilé de Dowly Field. On l’a prié de s’asseoir ailleurs que dans la partie réservée aux gens de la profession.

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-Quelle humiliation ! Quelle mouche le pique ?
-On ne sait pas.
-S’il donne raison à la direction, de quoi se plaint-il ?
-Il est devenu fou. Il a le délire du créateur à succès. Si je te disais que chez lui, il visionne ses anciens défilés ?
-Franchement, le pauvre vieux.
-Il ne s’en remettra pas. Il vit encore comme quand il était en Maison. La preuve, tu sais qu’il n’en était pas ?
-C’était bien le seul. Quand tu te rappelles Cupidon et les autres de la profession…
-Et Trou, comment encore ?
-…de la pierre Saint-Martin. C’en était un fameux. Et lui, pas ?
-Non. Eh bien, depuis sa mise à la retraite, si…
-Sans blague !
-Ça lui a pris quelques mois plus tard.
-Pour faire plus authentique ?
-Il lui a semblé que c’était mieux. Que ça faisait vrai… Je l’ai vu la semaine dernière qui donnait des leçons à un styliste fort connu. Nous ne savions plus où nous mettre, nous étions mortes de rire. Il fallait voir ses déhanchements…
-Que disait-il ?
-Que la couture Style éléphant – celle qu’il avait lancée dans les années soixante - n’avait pas fini de faire parler d’elle, que c’était ça être un grand professionnel et qu’il pouvait sur ce chapitre-là en remontrer à tout le monde.
-Comment cela va-t-il finir ?
-Il faudra bien un jour qu’il se rende compte. Il va tomber de haut. C’est sûr.
-Et en attendant ?
-Il va continuer d’emmerder tout le monde pendant encore un certain temps. Son petit ami, le vieux Dix Monde…
-Lui ! Celui dont le père a décoré le pavillon de la mode à l’expo de 1905 !
-Le même… va finir par se lasser et partir en maison de retraite. Alors il va se retrouver seul.
-C’est cruel. Il ne pourra pas le supporter.
-Oui. C’est bien triste.
-Il lui restera son ancien patron, et tout ce qu’il vénère : le style, la manière d’annoncer, ce qu’on en dit en haut lieu, la belle société en un mot… qu’il trouve admirable… comme les coiffures de Fabiola, la musique de Montagné, le dynamisme de Carlos…
-Dans le fond, il n’y a que nous les petites mains, qu’il déteste…
-C’est le rapport de l’ombre au soleil, nous sommes les ombres…
-C’est dur de finir grand professionnel !
-Surtout quand on n’est plus que le seul à le croire…


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