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Pour 2006, t'as le bonjour de Richard.

Jean-Jacques Rousseau est le père avant la lettre de l’écologie, avec le retour à la nature et l’éloge de la vie simple. Les critiques actuelles des sociétés industrielles sont en partie fondées sur les thèses rousseauistes, avec la nostalgie de l’homme naturel, la dénonciation de la vie urbaine, etc. A l’opposé de l’artificiel, l’auteur d’Emile glorifie une nature souvent devenue utopique, déjà à son époque, avant d’être mythique, à la nôtre.
Bien entendu Rousseau n’est pas du siècle de Marcuse, ni de Roszak (1), pour lesquels le travail dans les entités modernes de production aliène l’homme en ce qu’il nie le principe du plaisir.
En 2006, l’essor du machinisme industriel confirme les pires craintes de Rousseau et des autres philosophes sur l’avenir de l’homme aliéné. Réduit à une mécanique humaine, l’homme dépouillé de sa personnalité et plus que jamais humilié par le « progrès » technique, semble désormais voué à sa destruction ou à la destruction du système qui permet son exploitation illimitée.
Déjà Carlyle en 1829, à une époque intermédiaire entre Marcuse et Rousseau, avait prédit que les hommes « seraient tout aussi mécanisés dans leur cœur et leur esprit que dans leurs mains ». La machine-monstre fait de l’homme un monstre-machine.
La critique de Carlyle induit une différenciation du rousseauisme. Le rapport de l’homme à la nature, devient le rapport de l’homme aux « progrès scientifiques ».
Faut-il renoncer aux progrès scientifiques dans la mesure où ceux-ci altèrent davantage les restes de liberté que l’on perçoit encore dans les sociétés industrielles dites « démocratiques » ?
C’est le dilemme du docteur Frankenstein, personnage de fiction de Mary Shelley.
Horrifié par ce qu’il vient de créer, Frankenstein s’enfuit pour ne plus affronter le monstre qu’il a créé.

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Se pose ainsi la responsabilité sociale du scientifique.
Deux clans s’affrontent sur cette responsabilité : les pessimistes voient dans les avancées scientifiques une menace pesant directement sur l’avenir du genre humain ; les optimistes semblent s’accorder sur le but à atteindre qui est la victoire de l’espèce sur ses ennemis : bactéries, virus, insectes nuisibles, etc.
L’époque a tranché. Seuls quelques philosophes et économistes voient dans le « progrès » le danger d’une catastrophe finale qui mettrait un terme à l’organisation sociale la plus élémentaire. (Ce qui nous reconduirait à la case départ, mais pas dans l’idyllique utopisme de Rousseau.) Le reste du monde voit dans la science les moyens donnés aux hommes de vivre mieux et plus vieux, indéfiniment.
Sorel parle du « pouvoir magique des mots » qui conduira l’homme à sa perte.
Ou bien la liberté de quelques-uns sans la justice pour tous les autres, ou bien la justice sans la liberté ?
C’est que la majorité a tranché qui nous conduit à l’aventure. Quoique officiellement irrésolu, le problème issu de ces deux versions contradictoires est à proprement parlé « résolu » depuis l’ère industrielle. L’idéal serait que Liberté et Justice cohabitent harmonieusement. Hélas ! c’est la liberté pour quelques-uns qui prévaut !
Les égoïsmes inhérents à la société industrielle ont joué. Plus personne ne remet en question la nécessité du « progrès ». C’est l’ensemble de la communauté scientifique qui est encouragée à poursuivre ses recherches et ses réalisations, et ce, quelles qu’en soient les conséquences. Le plus bel exemple est la bombe atomique, les velléités de la confiner aux quelques grands Etats découvreurs ont été vaines. Si cette maîtrise de l’atome a produit de belles inventions utiles à l’humanité, son potentiel de nuisance est supérieur aux bienfaits qu’elle dispense.
L’industrialisation de la recherche, donne la propriété des découvertes à des non-scientifiques, voire des militaires. Les « découvreurs » s’ils finissent par empocher le Prix Nobel, ne sont plus quelque part que des techniciens co-inventeurs. Les brevets qui découlent de leur travail, ont des finalités qui les dépassent.
C’est donc le groupe restreint des pessimistes qui a raison quand il prédit notre perte tant qu’une éthique du monde industriel et du monde scientifique ne ramène pas les avancées de la science et ses applications à une morale acceptée par tous et contrôlée très strictement.
Jusqu’à présent, les Nations Unies n’ont jamais pu jouer ce rôle qui devrait être le sien au niveau des Etats. Quant au domaine industriel, il touche trop aux ressorts égoïstes de comportement pour envisager seulement un semblant de respect des nobles objectifs de justice et de liberté pour tous, enfin réconciliés.
Le système unanimement accepté de commerce et de libre échange, même tempéré par des régimes plus ou moins démocratiques oblitère notre avenir et sera, n’en doutons pas, l’ultime avatar par ses outrances, ayant eu raison de nous, et qui fera de l’homme un robot et de la nature un dépotoir.
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1. - Theodore Roszak - Essayiste, historien, sociologue et romancier, Théodore Roszak est né en 1933.Il a publié dix-huit livres. Il est notamment l’auteur de plusieurs essais : Vers une contre-culture (Stock, 1970), L’homme planète (Stock, 1980), The Cult of Information (1985), The gendered Atom (2000), consacré aux périls d’une vision du monde purement scientifique. Il a fondé l’écopsychologie, « humanisme écologique » dont les théories sont exposées dans The Voice of the earth (1993) et qui, depuis, a fait école. Il est également romancier. Il vit à Berkeley, enseigne l’histoire à l’université de Californie, et collabore régulièrement au New York Times.

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