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Discours d’Haut-lieu un premier avril.

Nous sommes réunis pour commémorer la mémoire de ce grand Belge qui nous a quitté trop tôt. Alors commémorons.
L’Académie de littérature et de langue française m’a chargé d’être son porte-parole - parce que le suivant sur la liste c’est moi - pour dire son émotion,.
Le collègue chargé de faire mon éloge, aura la partie plus facile, attendu que tout ce que je vais dire aujourd’hui se retournera contre moi.
Revenons à Champfleury Antoine.
Je vous vois sursauter. Je sais. Antoine Champfleury est inconnu pour vous. Je garderai pour la bonne bouche et plus tard son pseudonyme sous lequel vous avez admiré sa poésie.
Le Grec ancien était roulé dans un drap et déroulait un parchemin qui éclairait le monde. Antoine fut avant tout l’hôte d’une administration qui le nourrit et le conserva jusqu’à une pension bien méritée. Il ne tira de son péplum qu’outre de la vanité, que quelques vers qui le firent connaître, à défaut du monde entier, dans son Service, par un manque d’activité qui était dû au fait qu’Antoine versifiait pendant les heures de bureaux.
Il naquit à Liège. Tout qui compte dans ce pays naît à Liège. C’est évident. Et tant pis pour les montois qui n’y naissent pas. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent.
Il faut bien « naquire » quelque part, comme il le déclara un jour bien avant qu’il sut la conjugaison du verbe avec lequel il entretint toute sa vie une liaison irrégulière.
Homme très discret et effacé, il le fut particulièrement, me dit sa veuve, pendant la Résistance. Cette discrétion fut payante, puisqu’il arriva sans encombre et en bonne santé dans cette période d’abondance et de faste d’après-guerre au cours de laquelle il entra à l’Administration pour n’en sortir que quarante-cinq années plus tard, auréolé d’une gloire non pas de sa condition de sous-chef de service, mais de poète.
Il faisait sienne l’aphorisme de Paul Valéry « Je n’hésite pas à le déclarer, le diplôme est l’ennemi de la culture ». Aussi n’en eut-il jamais, ce qui le mit d’emblée hors toute catégorie.
Aborder la sexualité du poète, c’est courir le risque d’un regain d’intérêt parmi vous qui croyez terminer l’après-midi à la dégustation des petits fours qui n’ont rien des alexandrins d’Antoine.
Eh bien puisque sa veuve est là, je m’en vais témérairement en perturber la mastication.
Tout le monde sait les liens qui m’unissent depuis longtemps à Béatrice Champfleury, sa compagne. Ce fut très tôt après son mariage avec le poète que nous nous comprîmes et que nous nous aimâmes, elle et moi.
Certes, pourriez-vous me rétorquer, vous étiez donc l’amant de cette femme, tandis qu’elle partageait la couche d’Antoine ! Eh oui ! cher public, vu sous cet angle, la chose parait ignominieuse. Aussi vais-je lever un voile que Béatrice et moi gardâmes pudiquement sur nos corps enlacés. Longtemps, Béatrice qui était vierge crut que les rapports sexuels se bornaient à se dire bonsoir et à se tourner le dos sous la couette. Ce n’est qu’avec le temps et mon usage qu’elle se rendit à l’évidence : Antoine était impuissant… Quoi, tant de puissances créatrices, tant de semelles dans le vent, tant de trophées des anges, tant de lyrisme enfin à célébrer la femme et rien qu’une mollesse rédhibitoire excluant des conclusions, le point virgule flétri sur les ergots de la chair !

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Ce n’est pas si simple que cela. Rien de ce qui touche à l’art d’Antoine n’est simple.
Antoine Champfleury, dont je fus le disciple, s’interrogeait souvent à haute voix, devant moi. Je recueillais et notais les paroles du poète, pour une édition future, me réservant la préface.
« Pourquoi tant d’ambiguïté dans les rapports humains, me disait-il de sa voix de fausset si familière des émissions culturelles de la RTBf… Pourquoi tant de haine ? Où est Dieu ? Mais que fait la police ? », ensuite nous passions à table, tandis que Béatrice nous servait les plats et que le poète tournait discrètement la tête au moment où je passais une main lourde de concupiscence dans l’entrebâillement du peignoir arachnéen de ladite.
Heureusement, il avait l’appétit solide et tout finissait par des rots dont il avait l’art d’émailler ses haïkus et avec lesquels il ponctuait admirablement les dix-sept syllabes. Il appelait ses borborygmes « ses harmoniques ». Dans les jours de joie, il argumentait aussi d’un contrebasson qu’il modulait depuis ses fondements. Béatrice, sa chère compagne et moi-même l’accompagnant, nous formions ainsi des trios charmants.
C’est sur la fin de sa vie que nous connûmes le secret d’Antoine.
Champfleury était, comme tous les grands artistes, homosexuel !
Je ne trahirai donc point un secret, d’autant que beaucoup de membres de cette honorable assemblée en sont aussi. La délicatesse de l’artiste vient de là. Son émotion, il la transcendait de sa singularité.
Béatrice n’était pour lui qu’une compagnie, comme il le comprit aux premiers froissements de la soie sur un corps à jamais étranger.
Champfleury eut des disciples. Ils sont encore nombreux ce soir qui se souviennent des soirées où les angelots passaient en soufflant dans les hautbois, tandis que résonnaient les musettes.
Il manquait à la manchette, le bouton d’or de l’écologie. Champfleury chanta les bosquets et les halliers de son naturel fécond. C’était même fort de café qu’un poète aussi peu gâté de la nature que l’était Antoine, fut si peu rancunier envers notre mère à tous.
Il égaya les soirées souvent lugubres des Chiroux et releva longtemps les échevinats de la culture et des beaux-arts de l’éclat de ses diasyrmes et astéismes tellement supérieurs aux conduplications de nos laborieux de la politique, poussés à l’échevinat par des hasards et des intrigues.
Vous révélerais-je enfin, le pseudonyme de ce grand artiste ?
Non. N’est-ce pas. Ce serait faire injure à cette Assemblée de Langues de la littérature et du bon goût français.
Béatrice, sa veuve, en baisser de rideau, va à présent vous lire quelque extraits de « Porphyre où la descente aux enfers du plaisir » qu’Antoine composa trois jours seulement avant sa mort.

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