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Morale et éthique

On a trouvé un mot pour remplacer le mot « morale ». On dit maintenant « éthique ». C’est plus chic et c’est plus nuancé. Déjà en 1991, Hassan II disait de façon suave « Il n’existe pas au Maroc de prisonniers politiques, il n’y a que des prisonniers d’éthique. »
Ethique fait tendance.
Aux peuples démoralisés de la vieille Europe, il fallait adoucir les admonestations. Ainsi les éthiques – le pluriel c’est mieux encore – se sont substituées à la morale. La morale au singulier passe la main aux éthiques au pluriel. Parmi les éthiques chacun y pourra faire son petit marché et rapporter chez soi des éthiques bourrées de conformisme, l’édulcorant ersatz de l’ancienne et vieille morale.
Certes, le mot n’est pas complètement abandonné, même si on en parle de façon légère de manière a en montré le peu de valeur qui reste. La morale des curés et la morale laïque pèsent moins dans l’inconscient collectif. On ne sait pourquoi, l’une évoque l’Inquisition et les lourds après-midi du collège à regarder voler les mouches, l’autre l’instit en manches de lustrine lisant d’un lorgnon enthousiaste l’histoire de la Révolution française..
Pour le présent, l’obscurité sied bien aux acteurs sociaux qui proposent une éthique des rapports dans les entreprises ou dans le secteur public, comme le produit d’une nouveauté, plus légère, tout en restant vigilante et ferme.
Le citoyen-travailleur perdu dans les éthiques ne discerne plus dans les partitions hétérogènes qu’il décrypte, le sens du mot. Il perd ce que son éthique signifie par rapport à la morale et ne voit dans cet obscurcisement qu’une approche qui dispense le voleur de l’être absolument et la canaille espérer passer pour un honnête homme.
Ce siècle du boutiquier hissé au rôle d’industriel s’est admirablement adapté aux lois du marché sauf que l’offre éthique ne répond plus à la demande de morale. Les éthiques subséquentes au siècle n’ont qu’un lointain rapport avec le fond moral et exigeant qui différencie un homme capable de se juger, d’un raisonneur adéquatement né pour biaiser entre morale et éthique, à seule fin de tirer son épingle du jeu.
Le terme de valeur, quand il n’est pas galvaudé est tourné en dérision. Puisqu’on n’attribue de la valeur qu’à l’argent, comment voulez-vous que l’on en attribuât à la morale ?
A trop vouloir distinguer l’éthique de la morale, on en oublie la seconde pour s’arranger de la première. Les gens qui veulent à tout prix convaincre deviennent immoraux par excès. Ainsi l’éthique est leur joujou qui ne sert à rien, sinon à nous faire oublier la morale.
La nouvelle éthique - car l’ancienne selon le Littré n’est que la science de la morale, comme les Ethiques n’est qu’un livre d’Aristote qui traite de la morale – se garde d‘une opinion générale d’un corpus habilis, mais grignote le fait moral par petit morceau, si bien que l’éthique remplace aujourd’hui la morale, mais façon puzzle.
Quand tout fout le camp, il faudrait des yeux d’abeilles afin de regarder partout à la fois l’éthique en suif de marine colmater, sans empêcher l’eau, de monter dans les cales.
L’espace est toujours plein lorsque le peintre graticule à expliquer le vide qui ressort de la mort de la morale.

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La recherche scientifique se paie une fièvre d’éthique sur les gènes et oublie de qualifier le sida qui envahit la planète ; les entreprises jadis coupables de la misère du prolétariat retrouvent des couleurs sous la houlette des socialistes réformateurs ; orchestrant les nouvelles éthiques, les partis politiques jouent aux parangons exclusifs des vertus, tout en se moquant des hommes et de la justice ; enfin, tout le monde s’embrasse comme si de se sentir plus ou moins en délicatesse avec une certaine éthique annulait les culpabilités.
Face à ce tableau où chacun se noie à côté de sa bouée, les philosophes et les moralistes ressassent les anciennes calamités que la morale jadis dénonçait et contre lesquelles ils avaient résolu de se battre en sachant que ce ne serait qu’un simulacre de velléitaires dépassés.
La gauche toute ébaubie a abandonné ses repères. On a même vu d’anciens maoïstes et des soixante-huitards se reconvertir dans le prêt-à-porter, avec comme pompon, cette envolée de Bernard Liscia épinglée par le philosophe Alain Etchegoyen : « En tant que militants, nous vendions des idées dans lesquelles nous croyions. Aujourd’hui, je vends des produits dans lesquels je crois, j’applique la même éthique. »
Entre-temps, la morale s’était fait la malle.

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