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L’Escapade (5me partie)

Souvenirs et récits militaires (suite et fin)

Au moment où La feuillée allait baisser son grand sabre pour faire fusiller Jandron, il eut la vision abominable que toute la sauce de l’infâme jeune homme entrait dans le con de sa fille !
Il s’éveilla en sueur, en murmurant « feu, nom de dieu, feu !... ils ne tirent pas, ces veaux… Je vais tous les faire fusiller !.. »
On s’engueulait à la poterne.
Les sentinelles ne voulaient pas que Debatz et des hommes dans la pénombre pénétrassent dans la cour, sans qu’ils aient décliné le mot de passe.
Le caporal s’en souvenait plus.
Bientôt, d’autres arrivèrent et il y eut un regroupement. Poisseroux en qualité du plus haut grade s’approcha des deux loustics qui armèrent leurs fusils.
-Alors quoi, les gars, toi Rigali et toi Crémasso, vous reconnaissez pas le vieux Poisseroux ?
Les sentinelles qui avaient le désir de se payer la tête de l’adjudant-chef, avaient mis la troupe en joue et, à tour de rôle, s’étouffant de garder le sérieux, gueulaient « halte, le mot ? ».
-Le mot, je vais vous le donner dit Poisseroux. Le mot, c’est… merde, je m’en souviens plus… Comme Debatz et Cornillon, les trois gradés à l’avoir entendu, personne s’en rappelait…
La troupe derrière commençait à la trouver mauvaise…
Poisseroux s’entêta et jura que c’était « caniveaux ». Debatz rigolait comme un dingue et Cornillon gueulait « je le savais qu’on allait l’oublier. Je l’avais écrit sur un bout de papier. Il a plu dessus… ».
-Alors quoi, les gars, c’est nous, vous voyez bien qu’on n’est pas des espions…
-C’est quelque chose qu’a fait Charlemagne. Une victoire… Non, on a joué ça rue Roture, avant guerre, quand j’étais gamin, y avait les Sarrasins… Allais, quoi qu’on passe, on a sommeil… merde. C’est le défilé de chose que Roland y jouait de la trompette…
Les deux sentinelles tenaient bon. Le pitaine était à leur cul. Ils connaissaient la peau de vache. Ils voulaient pas céder. La Feuillée mit fin au tapage. « Roncevaux, bande de cons… Roncevaux… la trompette c’était un oliphant, tas d’incapables ».
Les hommes rentrèrent la tête basse, épuisés.
Ils n’avaient pas vu les deux espions. Il pleuvait trop. C’était pas humain un temps pareil. A vrai dire, ils s’étaient planqués derrière les wagons de marchandise de la gare de triage, convaincu que la sortie de nuit, c’était une de ces imbéciles alertes d’exercice, juste pour faire chier le monde.

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Le jour pâlissait les façades. Une odeur de foin sortait des écuries. Les chevaux étaient rentrés d’eux mêmes, descellés par les bleus qui prenaient la relève. Un rat traversa prudemment la cour entre les flaques. Il ne pleuvait plus. Le clairon sonnerait bientôt. Papa Jules se pointerait tout frais sorti du lit de bobonne, l’air gaillard. Il prendrait le regard sévère de celui qu’a fait le plus d’études dans ce bocal de cornichons de putain de caserne, histoire de remuer la viande des chambrées, de l’inquiéter un max, de faire savoir que le chef, c’était lui, Dieu, rien de moins. Il dirait mi-figue, mi-raisin à La Feuillée debout et lui, assis, « Merde capitaine, j’attends depuis deux minutes ? Qu’est-ce qu’on a au rapport, hein, capitaine ? Il paraît que de votre initiative vous avez fait faire un exercice de nuit ? » ; tandis que le trois étoiles, capitaine La Feuillée, héros des stalags, champion des dix-huit jours de campagne à avoir mis un point d’honneur à n’avoir jamais tiré un seul coup de feu, était sans nouvelle du petit maquereau qui avait enlevé sa garce de fille.
La Feuillée en avait la nausée de rentrer à sa piaule avec ses deux hystériques sur les bras.
Il lui sortait des hoquets d’angoisse. S’il n’avait pas été devant ses hommes, l’exemple du militaire de carrière, il eut dégueulé dans son képi et pleuré comme un enfant.
La gamelle Chetter déboucha sur sa bicyclette au milieu de la troupe qui s’ébrouait avant de s’écrouler sur les paillasses du dortoir. Il vivait avec une pute d’un bar à soldats sur la chaussée de l’ancien fort de L. Copain avec le maréchal des logis Cornillon. Ils avaient le même grade et étaient du même pays de Salm.
Maigre comme un clou, il avait la démarche du voyou dont il imitait jusqu’à la manière de remonter le veston par roulement d’épaules, un peu comme le fait Sarko aujourd’hui. Pendant la campagne de 40, le deuxième jour il était à Bordeaux, champion toute catégorie, même devant les généraux. Un julot bonard sur la Maginot, lui avait refilé sa marmite. Une Algérienne qui se faisait double paie avec des passes deux hommes à la fois
Il dit entre ses dents à son pote alors qu’ils avaient dépassé La Feuillée trônant sur le seuil du corps de garde : « J’ai vu la fille du pitaine, tu sais la grosse qu’on s’était faite tous les deux aux écuries le jour de la fête du régiment, elle était avec ce sale con de Jandron, le fils du contremaître de la fabrique de fer, affalée sur une banquette de la gare. Ils attendaient le premier dur. Je croyais qu’il était pédé, l’enflure, bien non. Il avait la tronche entre les nichons de la pétasse, et il ronflait comme toute une chambrée ».
Cette nouvelle allait faire le tour de la caserne comme une traînée de poudre.
Des Mielleuses serait immanquablement averti par le lieutenant Barbazon qui ne supportait pas l’étoile de plus du capitaine La Feuillée.
La Feuillée n’avait plus qu’à demander sa mutation.
Elle ne lui serait pas accordée. Il faudrait qu’il supplie Des Mielleuses qui n’aimait rien tant que tenir en main ses ganaches par les histoires de cul qui se colportaient dans cet univers sans femme.
Fin.

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