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Une fleur de nave en résumé…

-J’ai eu beaucoup de chance, n’est-ce pas. Mais la chance va avec le talent, quand même. J’ai toujours eu un peu de chance et beaucoup de talent. J’ai rencontré Alice aux Alyscamps.
Elle était là pour célébrer saint Genest. Elle a toujours aimé les martyrs. Nous avons devisé. Nous deviserions toujours, si elle ne s’était pas mise en tête de changer des devises. C’est ainsi que j’ai appris devant un distributeur de billets à Arles qu’elle était éditrice de musique. Tu me connais, j’ai bondi ! « Pourquoi vous bondissez, ? dit-elle surprise ». Elle était toute mignonne. On ne lui donnait pas 25, tu vois ? Moi, à 27, c’est parfois comme si j’en avais 80 ! Mais, est-ce que ça compte, quand on échange. Alors on a échangé. D’abord timidement, devant le distributeur de billets, puis franchement, mieux sur le trottoir. Mais on devait retourner aux Alyscamps, rapport à son mari qui l’attendait. Oh ! pas terrible, un Marius sans la marine à voile, si tu vois ce que je veux dire ? Non, tu ne vois pas ? C’est sans importance, ce n’est pas là… « Moi aussi, je lui fais énigmatique. » Je voulais la faire réfléchir. « Moi aussi quoi ? », dit-elle enfin surprise. Par l’entrebâillement de sa robe genre tablier rose de grand’mère, je voyais le rembourré du bonnet gauche. Pourtant, elle n’avait pas à faire des complexes. Marius avait l’air d’en être satisfait. Aux petits soins, des Alice par-ci, des mamours par-là… La façon dont elle le regardait, ça se voyait que s’il était en plein charme, elle avait plutôt l’air d’en avoir assez fait par sa seule présence. Il faut dire avec la chaleur qu’il faisait, il ne sentait pas bon. Il y a comme ça des types qui dégagent un fumet sui generis… Alors, on n’a plus fait attention à lui. Pour tout dire on lui a tourné carrément le dos. Il sentait trop mauvais. « Moi aussi quoi ? » répéta-t-elle d’un air, qui signifiait qu’il ne fallait pas la faire languir plus longtemps. Son N° 5 couvrait fort heureusement le nauséabond de l’autre. « Moi aussi, dis-je, je fais de la musique. » là j’étais un peu vexé, qu’elle n’ait pas reconnu celui du groupe qui avait le plus de talent, passe encore, mais qu’elle n’ait pas senti pour une éditrice de musique qu’elle avait devant elle le compositeur musicien danseur interprète des « Happening star », voilà qui était singulier. « Quel genre ? » s’inquiéta-t-elle, curieuse. Et puis, comme pour s’excuser de sa formidable absence de culture musicale, elle ajouta - ah ! je la vois encore : des yeux… enfin des yeux et la bouche gourmande – « Moi, n’est-ce pas, je suis éditrice de musique religieuse ! ». Tout s’expliquait ! Elle ne connaissait pas Charlie, la délicatesse du style, le fleuri de la pensée, le superlatif du rock de garage ! A ce moment, le camembert humain se retourna pour railler « C’est de la musique, ça, du rock de garage ? » Nous nous sommes regardés, Alice et moi, une complicité déjà, là aux Alyscamps, assis sur les tombes romaines et on est parti d’un fou rire. On avait eu la même idée, jeter Marius dans un sarcophage et l’oublier tout de suite, vingt siècles de mépris. On ne l’a pas fait. Cela n’aurait servi à rien, les sarcos étaient sans couvercle, comme l’autre Sarko avant Messaline quand il pétait les plombs. Et puis c’est quand même lui qui nous a payé à dîner, dans le vieux Arles, un peu plus tard. Elle était là pour l’art. Une messe à la flûte en ut (j’avais cru comprendre rut), une rareté, qu’on avait vue pour la dernière fois chez un notaire de par ici, du moine Jehan Bontemps. Moi, j’était aux Alyscamps parce que je m’étais trompé de car et que je devais retourner en principe sur Clermont, des histoires compliquées, celle d’un groupe qui s’est brouillé avec son batteur, une longue suite de malentendus, mais qui n’a pas fait de mort. On était juste devenu tous un peu sourds avec le bruit qu’il faisait… Or, une histoire qui n’a pas fait de mort n’intéresse personne. Je le lui dis. Elle insista.

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Enfin, pour tout te dire, le soir, Marius après avoir payé, fut pris d’un malaise au restaurant. Il paraît qu’il était toujours ainsi. C’est recta, à chaque fois qu’il paie, il a un malaise. « Si j’avais su, ai-je dit à Alice, je prenais l’addition à mon compte ! ». « Ils disent tous ça, dit-elle résignée, quand c’est trop tard ». Enfin, on a traversé la rue et on est allé à l’hôtel pendant que Marius récupérait dans la voiture. J’avais une couture à mon pantalon, tu sais celui que je mets en scène, le faux cachemire, patte d’eph, qui s’était laissée aller, et on voyait mon Saint-Laurent en-dessous, enfin paix à son âme, alors comme elle avait son petit nécessaire, moi aussi, nous nous sommes rendus aux Trois lys réparer ça. Tu sais comme sont les éditrices et les rockeurs, de fil en aiguille, quand la couture fut faite, je ne sais pas pourquoi, elle voulut voir si le Saint-Laurent était décousu aussi. On a tellement ri, qu’un moment j’ai cru que je n’y arriverais pas ! On s’était compris, et comme on le voulait tous les deux, on est redevenus sérieux, le temps qu’il faut. Par la fenêtre, on voyait Marius, tout blanc, qui s’éventait dans l’Opel. On a eu tellement pitié qu’on a laissé la fenêtre ouverte avec le ventilateur dans sa direction. Ce n’était pas pour l’efficacité, seulement pour le geste. Alice, nue, était tout ce qu’on veut, sauf une éditrice du moine Jehan Bontemps. On est redescendus une heure plus tard. Marius allait beaucoup mieux. Peut-être avait-il remis, car il sentait moins qu’avant. Mais, ça, il ne nous l’a pas dit, tout à ses « mamours, où étais-tu ? Et ce jeune homme ne t’a pas ennuyée ? », même qu’elle a dit – et elle a eu parfaitement raison – « Dis tout de suite que nous avons couché ensemble ? ». Devant une telle supposition, Marius est resté tout con à méditer. Suspecter Alice, il ne pouvait avoir eu cette vilaine pensée, l’effronté ! Et c’est comme ça que les Happening star vont être édités par la Maison Bertill, spécialiste depuis 1940 de musique religieuse (le fondateur n’était autre que le père d’Alice, fasciste et catholique à l’époque, ce qui ne l’empêchait pas d’être esthète en musique religieuse. Qu’est-ce que tu en dis ? Ah ! il dort le cochon… décidément, c’est un sale con, faudra que j’en parle à Stivie et Nicolo. C’est bien la peine d’avoir un partenaire à qui on raconte tout et qui s’en fout !...

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