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L’imposture.

On rêve comme jamais en imaginant la Société grecque ancienne telle la matrice fondatrice d’une utopie bien contemporaine : la démocratie.
Nous serions donc dirigés par le peuple, pour le peuple ! Et cette loi du plus grand nombre nous l’aurions calquée sur les temps antiques !
Homère, dont on ne sait pratiquement rien (1), auteur de l’Iliade et de l’Odyssée, a cependant laissé à travers les péripéties de ses héros un aperçu de la conduite d’un royaume fictif, celui d’Ithaque.
L'aède aurait composé seul ou en compagnie 15.337 hexamètres dactyliques sur un peu moins d’un siècle ! C’est un réservoir d’informations sur les concepts des communautés et sur l’affect des citoyens du VIIIme s. avant J.C.
On peut y voir les prémices d’une société de droit à partir de la rentrée d’Ulysse en Ithaque.
La question est de savoir si c’est bien notre temps qui s’est fait une fausse idée de la démocratie, en croyant voir un modèle dans la société mycénienne.
Rappelons les faits : Ulysse lassé de courir la prétentaine s’arrache des bras de la déesse Calypso pour rentrer en son royaume d’Ithaque. Il le fera incognito afin de jauger l’amour de la belle Pénélope assaillie par une bonne centaine de prétendants auxquels elle ne dit pas non, mais « peut-être » !
Là-dessus nous voyons vivre tout un peuple en communauté.
C’est une société ou la force et le courage physique font tout, non seulement à la guerre, mais aussi dans la vie civile. Ulysse a un père, Laërte, roi avant lui, mais qui est trop vieux pour régner. Les rois n’abdiquent pas, lorsqu’ils ne sont plus à même de conduire les guerriers, ils sont remplacés par le plus fort d’entre ces derniers. C’est pure coïncidence si Ulysse succède à son père.
Le portrait « admirable » que l’on trace aujourd’hui de Pénélope, est en réalité celui de l’existence d’une femme au foyer, sans pouvoir, sans droit et dont Télémaque, son fils, est le maître en attendant le retour du père. Les prétendants sont en réalité des guerriers venus des environs pour se mesurer entre eux, comme dans une foire, afin de gagner le gros lot à la force des biceps.
La vengeance est le seul « acte » judiciaire que l’on y pratique, parce qu’il donne la gloire et la joie au cœur.
Il se détache ainsi au long de l’histoire, une anthropologie du héros qui ressemble plus à l’apologie d’un Waffen SS qu’à celle d’un combattant de la Liberté.
Le monde mycénien décrit est fort proche de la société féodale. Le baron médiéval est roi sur ses terres. Idem en Ithaque où même les dieux violent les plus belles femmes à l’occasion. L’opposition entre la société d’apanage et les paysans y est permanente. La gestion par la contrainte des esclaves et des paysans assujettis ne va pas sans heurts.
S’attacher à la vie en Ithaque, c’est coller aux vicissitudes sociales, voir s’ébaucher les premières règles institutionnelles, c’est-à-dire assister aux débuts d’une organisation citadine, une « polis ».
Pour confirmer leurs droits, voter les guerres, partager les pouvoirs, les citoyens d’Ithaque devaient bien se réunir dans un endroit assez grand pour accueillir tout le monde. C’est les débuts de l’Agora. Entendons-nous bien sur la notion de « tout le monde ». Il s’agissait d’hommes, dits libres et citoyens, en somme les guerriers, les anciens guerriers et les prêtres, à l’exclusion des enfants, des femmes, des vieillards insensés et des esclaves. Ce qui faisait du monde, probablement 80 % d’exclus.
Chacun y parlait à son tour, sans limite de temps, et la réunion durait jusqu’au dernier orateur inscrit. Le roi finissait par trancher. Cette démocratie-là avait tout l’air d’un Conseil de guerre.
Les Huns, les Tartares, les Vikings et tous les peuples guerriers n’ont jamais agi autrement.
Diable, est-ce cela notre modèle ?
Ithaque, l’imaginaire, n’est rien d’autre que le début d’une organisation politique. C’est un prototype que nous avons magnifié et de l’image que nous en avons tirée, nous en avons déduit que c’était ainsi qu’avait débuté la démocratie.

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Certes, ce ne sont que prémices, balbutiements d’une société de droit qui se cherche.
S’est-elle retrouvée dans l’aboutissement que nous connaissons, près de trois mille ans plus tard ?
Au vu de la montée des inégalités, des peurs orchestrées par quelques démiurges afin de peser sur le peuple, d’un système économique trouble, des disparités terribles entre citoyens dont certains renouent quasiment avec l’esclavage, on peut penser que la démocratie sublimées des Grecs ne s’est pas faite ; par contre c’est presque la Société d’Ithaque qui réapparaît.
Nous l’avons cru, comme Cendrillon a vu un carrosse né d’une citrouille. Les douze coups de minuit ont sonné. Nos baskets ne se sont pas transformés en pantoufles de vair.
Il faut revoir notre copie. D’autant que parler de démocratie aujourd’hui comme le font les dirigeants de l’Europe, est une imposture !
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1. Il y eut plusieurs aèdes échelonnés sur presque un siècle.

Commentaires

Une petite correction quand même...
La guerre de Troie et les évènements qui lui sont associés sont généralement datés d'au moins 1000 avant JC. La démocratie grecque au sens strict remonte à l'époque de Solon et surtout à celle de Périclès, soit environ 500 avant JC.
Comme tu le soulignes à juste titre, les citoyens de cette démocratie ne représentaient qu'un tiers de la population à Athènes (à l'exclusion donc des esclaves et des métèques). Mais surtout cette démocratie n'a pu s'exercer que grâce à la "pressurisation" des cités d'Asie Mineure; ce ne sont pas les Athéniens qui ont financé l'Acropole ou les allocations aux différents conseillers!. Il ne faut pas dissocier une démocratie de son environnement: à titre d'exemple,la "démocratie" israélienne ne concerne vraiment que les juifs d'Israël(les droits des Arabes occupés sont tout différents!). Bref (mais là, je te rejoins très probablement si j'en crois l'expression à l'entrée de ton blog), il ne faut pas idéaliser la démocratie...C'est une construction humaine, donc par essence imparfaite, à améliorer sans cesse.

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