« Ah ! l’insoutenable suspense ! | Accueil | Un clown au Fédéral ! »

Souffrir utile !

-Alors, tu les prends ?
-Je ne sais pas.
-Quoi, tu ne les prends pas ?
-C’est pas lourd.
-Comment, c’est pas lourd, trois semaines !
-Attends, tu parles de quoi ?
-Comment, je parle de quoi ! Et toi du parles de quoi ?
-Des indemnités de Fourien. Je suis viré avec les autres. Une fournée de 160 gus !
-Moi, je parlais des vacances. Tu vas pouvoir y aller toute l’année veinard !
-Pourquoi je partirais en vacances, alors, puisque c’est toute l’année ?
-Tu pourras choisir tes dates. Partir quand c’est moins cher…
-Tu te fous de ma gueule ? Avec mes alloc de chômage ?
-Tu sens pas le besoin de changer d’air ?
-Et toi, tu pars ?
-Comme les trois quarts de Charleroi, je glande chez moi.
-Alors, pourquoi tu me fais l’article ?
-Parce que t’es toujours parti.
-Eh bien ! tel que tu me vois, je pars plus. T’as du culot. T’as jamais pris les tiennes !
-Je pointe depuis plus longtemps que toi.
-Moi, je commence.
-Tu verras on s’y fait. On respire l’air des terrils… On jette des pierres dans la Sambre pour faire des ricochets…
-A la Napoule je respirais à côté de l’égout au camping « Les flots bleus ». Les tentes étaient piquet contre piquet.
-T’étais libre. T’avais la mer.
-Fallait d’abord sortir du camp, enjamber des corps, longer les remises à bateaux, faire la route…
-T’étais au soleil…
-Tu sais combien ça coûte un coca en terrasse à Cannes ?
-Cinq euros ?
-Non, dix. Les Flots bleus derrière les Saints fainéants est à une demie heure à pied du bord de mer.
-Pourquoi t’y allais ?
-Marguerite a la bougeotte. Une sorte de maladie qui l’a prend au printemps. Faut qu’elle parte.
-Avec Fourien qui fiche son monde dehors, t’es sauvé des Flots bleus !
-D’autant que Marguerite à force d’enjamber des corps avait fini par se faire enjamber aussi…
-Ma femme le disait hier, pourquoi la famille Caquet va toujours au même endroit ?
-T’as compris que si on avait été ailleurs, j’aurais revu nécessairement un enjambeur que je côtoie aux Flots bleus et que ça m’aurait mis la puce à l’oreille…
- Comment ça se fait ?
-Je suis au courant sans l’être. C’est que des soupçons.

s456.JPG

-Te voilà rassuré, puisque tu pars plus.
-Qu’est-ce qu’on fout à Charleroi en été ?
-Rien. On s’emmerde. On attend.
-On attend quoi ?
-Un boulot pour partir en vacances. Un scandale à la Commune, ça divertit en attendant…
-Tu me dis que tu es tout le temps en vacances !
-Des vraies.. on attend de vraies vacances, avec des départs la voiture bourrée, les enfants qui se chamaillent et Mathilde qui rentre à la maison alors qu’on va partir parce qu’elle a oublié son nouveau string dans un étui à lunettes.
-Et rien foutre du matin au soir, ça te branche pas ? Tu t’organises comme tu le sens. T’as plus un con derrière toi qui te fait remarquer que t’es en retard de production…
-Je chôme depuis plus longtemps que toi, je vois même plus la gueule de mon chef dans mes rêves. C’est comme s’il avait jamais existé… t’es nouveau, tu peux pas comprendre. N’empêche je voudrais bien enjamber aux Flots bleus…
-Je me demande ce que je foutais chez Fourien. J’ai jamais rouspété, fait tout ce qu’on m’a demandé, pour quel résultat ? André Antoine me fait chier avec ses emplois à la con, juste pour abrutir le monde, sans promo, sans avenir… pour gagner trois ronds.
-Tu rejoins nos rangs, mon pauvre vieux.
-Ce qu’ils m’en ont fait baver, les salauds, et pour quelle perspective ? Celle d’aller trois semaines par an m’emmerder ailleurs. Tu parles d’un bonheur…
-Parole, on dirait qu’être foutu à la porte, ça te fait plaisir !
-Dans un sens, oui. J’osais pas dire à Marguerite que j’en avais soupé des Flots bleus, au patron que ça gueule ne m’a jamais plu et que l’Antoine, ses discours, il peut se les mettre où je pense. Après avoir entretenu jusqu’à mes 45 ans l’élite de ce foutu pays, le patron, ma famille et jusqu’aux rigolos de la Commune, voilà que je leur coûte, dis donc !... même si c’est pas lourd, c’est eux qui doivent les allonger. J’en jouis de bonheur !
-C’est pas moral de dire ça…
-T’es au chômage depuis dix ans. C’est pas à toi de faire la leçon.
-C’est pas la même chose. J’ai jamais tenu les propos que tu tiens. Je recherche un emploi, moi.
-Que tu ne trouves pas. C’est pas la même chose que moi ?
-Non. C’est tout différent.
-Ah ! et c’est quoi cette différence ?
-Moi, Monsieur, je souffre !....

Poster un commentaire