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Une mode à France-Télécom …

Il est fâcheux que les historiens de la vie ouvrière ne se soient pas manifestés lors des récents événements commentés par la presse et la télévision, après les 23 suicides en 18 mois à France-Télécom.
Il était relativement facile à partir du scoop de faire un peu d’histoire. Les normes de production et le management ne datent pas d’hier. En vain les syndicats et le monde ouvrier dénoncent depuis longtemps les conditions de travail de notre société. Hélas ! parmi les faiseurs d’opinion qui s’en est jamais ému ?
Dès la fin des années soixante, dans une publication de la Fondation André Renard sous la direction éclairée de Maryse Hockers (1), des corporations entières de travailleurs faisaient déjà état d’une dégradation de la santé des travailleurs à la suite de nouvelles techniques de production, sans que s’en émeuve une médecine du travail étrangement passive, pour ne pas dire inexistante.
Il aurait été aisé à nos bonimenteurs de sensationnel de relire les bonnes feuilles sur le sujet. Ils n’auraient pas été ébaubis, mais écoeurés de l’indifférence des partis et des gouvernements depuis près de quarante ans, complétant l’assertion patronale que chez eux tout est clean.
Quand on voit le tintamarre qu’on fait sur la possibilité d’une pandémie due au virus AH1N1, il y a gros à parier que ce fléau sera bien inférieur en nombre des suicides et des dépressions nerveuses ayant occasionné la mort mettant en cause les conditions de travail en Europe occidentale.
Dès la fin de la guerre, la reprise de la production dans les entreprises s’est faite sur le modèle américain : travail en série, chaîne de montage, trois postes de travail, parcellisation des tâches, dépossession du savoir faire de l’artisan et de l’ouvrier, c’est-à-dire dépossession de la capacité de faire et de comprendre le produit fini de A à Z. Dans les bureaux, même scénario, avec l’entrée des systèmes intégrés, mécanographie et spécialisation, jusqu’au triomphe dans les années 90 de la bureautique et de l’ordinateur.
Cela permettait à l’entrepreneur de moins payer le savoir-faire, d’écourter considérablement le temps de l’apprentissage et d’estimer le temps perdu entre deux manipulations, puis à la façon de manipuler la pièce soit à la fabriquer, soit à la placer, de produire plus en diminuant les coûts.
Dès le début de la pénibilité des tâches, les suicides et les révoltes sont signalés dans les corporations exposées, comme la sidérurgie, l’imprimerie et les ateliers de mécanique, sans pratiquement aucun relais des syndicats et des politiques, si ce n’est pour calmer les esprits par des augmentations de salaire et des aménagements des conditions facilitant la production, réfectoire, sanitaire et bureau syndical à l’intérieur de l’entreprise.
Puisque le mot « productivité » était lâché, il y eut un alignement généralisé sur « le progrès ». Le travail n’était pas abondant – il ne l’a jamais été – mais les entreprises en expansion engageaient et tout semblait concourir à une embellie de l’avenir que la gauche au début de la social-démocratie promettait à tout le monde.

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Il n’était pas question d’un malaise social.
Les premiers cas de suicides et de stress conduisant à une incapacité permanente furent mis sur l’état latent d’une maladie « des nerfs » quasiment congénitale à propos de l’inadaptation de certains. On parlait de déchets humains, dans un élan général et accepté. C’est tout juste si ce n’était pas par pitié que les « bons » employeurs ouvraient leurs usines à ces « malades ».
On coupla à la médecine du travail entièrement dévouée à la cause patronale, des services de contrôle payés par l’employeur, une sorte de gestapo mesurant la douleur, en quelque sorte et prenant comme préalable à tout examen, que le malade est un simulateur potentiel.
La deuxième vague de progrès, celle dont nous faisons les frais actuellement s’est implantée vers le milieu de la décennie quatre-vingts. L’épouvantail qui en surgit s’appelle le management. Le principe est clair. Au nom de l’efficacité, il faut mettre les travailleurs en concurrence, les déplacer, les « punir » au nom de la survie des autres quand ils sont désignés comme des freins à l’essor général. La hiérarchie a pour mission de réduire l’homme au travail à l’état de machine souple et obéissante. Les travailleurs sont déplacés comme le matériel, démolis comme tel à l’occasion d’une décentralisation. Il est fait un usage massif des intérimaires, encore plus souples, encore plus éphémères, qui n'ont aucune défense possible.
En vertu de quoi, l’homme étant secondaire dans le capital de l’entreprise, celle-ci sera performante et citée quelque part – parfois aux antipodes – comme l’exemple d’une machine qui rapporte gros.
Dès les années soixante, il y eut des associations instillées par le patronat au sein des bassins de production qui avaient pour mission de donner du tonus aux travailleurs en vidant les cerveaux de ce qu’il pouvait y avoir de résistance « subversive ». Le mouvement « Réarmement moral » mi-chrétien, mi-libéral, était de ceux-là.
Aujourd’hui on n’oserait plus inclure les cadres inférieurs et les travailleurs de base dans un lavage de cerveau collectif ; mais la comédie existe toujours sous des appellations diverses en-dehors des heures de bureau, week-end compris, sorte de réunion incantatoire en faveur du groupe, dans lequel une forte émulation règne, attisée par les patrons sous la forme de « challenge », le but, souder les cadres à l’entrepreneur.
L’aveuglement général est le produit de cinquante années de propagande au service d’une seule cause : l’économie de marché, vaste escroquerie qui n’a qu’un but enrichir quelques-uns au détriment de tous les autres.
Le piège s’est refermé sur les exploités – et ils sont nombreux – qui y croient encore. Le système roule tout seul. Les travailleurs sont prêts à s’entretuer pour un emploi, à se défoncer pour ne pas être virés par ceux qu’on appelait les stakhanovistes sous Staline, et qui s’appellent ici les bâtisseurs d'un nouveau monde.
Déboussolés, complètement dépouillés de leur savoir-faire, stressés par un travail idiot auquel pourtant ils tiennent parce qu’il n’en existe pas d’autre, les employés et les ouvriers sont aujourd’hui quasiment réduits à l’état de débiles légers par un management qui s‘entoure d’ergonomistes, d’ingénieurs en bureautique, de chefs de production eux-mêmes condamnés au résultat sous peine de disparaître.
Hypocrites sont les médias qui découvrent cela en 2009. Faux culs sont les libéraux et les entrepreneurs qui jouent les naïfs. Ces gens m’écoeurent. Ils me dégoûtent au point que je ne comprends pas pourquoi dans un dernier sursaut, plutôt que de finir par une défenestration et trois lignes dans les faits-divers, le pauvre type qui décide d’en finir avec cette existence abominable ne saisit pas une kalachnikov pour s’en aller faire un carton parmi l’engeance dirigeante et discourant dont certains sont des assassins par préméditation..
Voyez ce que vous avez fait de moi, disent les suicidés. Voyez ce que je fais de vous avant de crever diraient ces tireurs éventuels. Ma foi, si j’avais à choisir, ma nature me pousserait plutôt à la seconde solution. Mais, c’est un choix personnel que je ne conseille à personne, bien entendu.
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1. Maryse, le monde est vaste. Je ne sais ce que tu es devenue. Si par hasard, tu lis ceci… Sache que je pense à toi.

Commentaires

A contrebalancer par les résultats d'une étude récente démontrant que le taux d'occurrence et la gravité de nombreuses pathologies est nettement plus élevé parmi les personnes ne travaillant pas.
Donc, d'un côté, le travail, c'est vraiment la santé (par la socialisation et la circulation de l'information qui y sont associées) et d'un autre côté, la qualité du travail se dégrade constamment depuis 30 ans (cadences, course au rendement, ...)amenant son lot de nouvelles pathologies (stress, burn-out, dépressions, suicides, harcèlements...)

Certes, mais la statistique est faussée dans les chiffres du patronat; car, dans cette catégorie, il n'existe pas ou très peu de personnes oisives par principe. Il s'agit de chômeurs ou de prépensionnés qui n'ont été élevés que pour le travail et à qui, parfois de façon criminelle, on reproche leur oisiveté accidentelle.

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