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Ils sont partout.

La raison est aussi proche de la folie, que la folie l’est de la raison, à en croire le dictionnaire à propos de « logorrhée ». La définition de ce mot peut être « Flot de paroles désordonnées, caractéristique de certains troubles mentaux ou « Manie de parler interminablement, verbiage facile, incapacité à se borner ».
Autrement dit, un baratineur est-il fou, lorsqu’il parle sous le coup d’une forte émotion ?
Notre temps prédispose-t-il à la folie par l’accélération du stress au travail, par la précarité de la plupart des emplois et la menace du chômage ?
Y eut-il moins de fous jusque vers le milieu du siècle dernier, avant que le behaviorisme ne vienne accélérer les mouvements de l’homme-machine, selon les lois de la productivité ?
Il ne se passe pas un jour sans croiser dans la rue une personne atteinte de logorrhée, sans voir des conducteurs arrêtés au feu rouge parler – comme dans un film muet – puisque l’on n’entend pas ce qu’ils disent, alors qu’ils n’ont aucun passager.
La folie serait donc la chose au monde la mieux partagée, selon Foucault. ?
S’il ne suffisait qu’être sain d’esprit pour ne pas être fou, la plupart des fous prétendraient qu’ils sont lucides, sans que personne vraiment puisse en douter. Et, il est vrai : il n’y a rien de plus troublant que le raisonnement faux. Cependant qui n’a jamais soutenu l’insoutenable, de bonne foi, persuadé que son raisonnement était infaillible ?
Personne n’est plus fou que celui qui prétend ne pas l’être, en excluant la possibilité que les raisonneurs, les philosophes, les savants, pourraient l’être au même titre qu’un « simple » d’esprit, tandis qu’il se situe dans l’une ou l’autre catégorie d’exonérés.
La prétention de celui qui sait par rapport à celui qui ne sait pas (a priori) n’est-elle pas le symptôme d’un dérangement de l’esprit ?
Les régimes totalitaires le savaient bien qui conservaient dans leur arsenal le pouvoir d’envoyer un opposant du régime dans une clinique spécialisée.
Pascal partageait la folie de Descartes à savoir qu’ils partaient l’un et l’autre sur une absolue évidence : l’existence de Dieu, tellement évidente qu’ils ne se donnèrent pas la peine de le prouver. Si bien que le seul Descartes établit un catalogue de vérités prouvées… sur la seule qui ne l’était pas !
Au moins Pascal, tout embrasé qu’il était de la foi retrouvée sur le Pont Neuf, avait-il la prudence de nous prévenir « Nous sommes si nécessairement fous, que ce serait être fou par autre tour de folie, de n’être pas fou ».
A bien considérer certains comportements, on se demande si ce n’est pas l’argent qui fait office de graines d’ellébore, avec la vanité de la position sociale et la haute opinion que certains ont d’eux-mêmes !
La folie est aussi le propre du génie, dit-on, c’est pourquoi Salvador Dali s’est, sa vie durant, contorsionné en proférant des absurdités dès qu’un micro s’approchait. Voilà bien l’exemple d’un génie contrefaisant le génie parce qu’il ne croyait pas l’être !
Molière fait dire à Philinte dans le Misanthrope « C’est une folie à nulle autre seconde / de vouloir se mêler de corriger le monde »
Il faut reconnaître un mérite aux hommes politiques, ils se gardent bien de corriger le monde, tout au plus se contentent-ils de faire semblant.

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Décréter que pour cela, ils sont sains d’esprit, serait s’aventurer beaucoup dans une analyse de l’homme d’Etat qu’un écrivain jadis qualifia par un beau titre « Les grands malades qui nous gouvernent ». Il est juste de dire qu’il comptait aussi les maladies du corps avec celles de l’esprit.
Quelques écrivains durent être internés, parce que leur folie les empêchait de se fondre dans la société bourgeoise qui a horreur de l’extravagance.
Le plus scandaleux est un philosophe célèbre qu’il fallut mettre en lieu sûr après qu’il eût entouré de ses bras, l’encolure d’un cheval qu’un charretier, saisi d’une autre folie que la sienne et sans doute plus cruelle, fouettait énergiquement.
Quant à Flaubert, sa maladie nerveuse ne l’empêcha que de suivre des cours de droit ce qui le délivra de fournir un quitus de fin d’études à son père.
Camus conclurait « Il est toujours aisé d’être logique. Il est presque impossible d’être logique jusqu’au bout. »
Et comme il faut bien qu’il y ait un brin de folie partout, c’est celle en dernier de la classe ouvrière selon Paul Lafargue « … Cette folie, c’est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales et de sa progéniture. »
À 69 ans, ce co-fondateur du socialisme se suicide en 1911, avec sa femme, Laura Marx, la fille de Karl, en se justifiant dans une courte lettre : « Sain de corps et d'esprit, je me tue avant que l'impitoyable vieillesse qui m'enlève un à un les plaisirs et les joies de l'existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres ».
Fou ou sain de corps et d’esprit, qu’importe, cet homme suscite le respect.
On ne pourrait pas en dire autant de certaines idoles du monde politique dont la présence éternelle confine à l’indécence.

Commentaires

N'y a t'il pas de logorée par écrit? Votre oeuvre quotidienne est-elle folie ou travail ?
Pour moi, pourquoi écrire en rapport avec des écrits ?
La folie de l'expression ne vaut-elle pas mieux que l'absence de l'expression ?
Mais n'oublies pas : si tu te prends au sérieux, hâte toi d'en rire !

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