« Le PS dans l’impasse. | Accueil | La haine des autres. »

Rouslan et Ludmilla

Pour bien connaître les gens ordinaires de là-bas et pour y avoir des attaches amicales, je pense que les médias vont avoir du fil à retordre et du blé à moudre quand les Russes vont secouer le régime actuel, envoyant Dmitri Medvedev et son mentor Vladimir Poutine rejoindre Ben Ali en Arabie des mille et une nuits d’exil.
On ne saurait dire quand cela arrivera, mais quand cela sera, je vois la tête d’ici de nos éditorialistes qui n’avaient pas senti venir le coup, comme de nos personnages politiques, tous bien éberlués et certains, comme madame Alliot-Marie pour la Tunisie, s’astreignant à détacher quelques casseroles qui risquent de les poursuivre un temps dans leur carrière.
La semaine dernière à Saint-Pétersbourg, fief de Poutine, contre toute raison et sans preuve, ils étaient sans doute des millions dans cette ville géante depuis la perspective Nevski d’entre les deux bras de la Neva, jusqu’à l’anneau des boulevards, à croire que l’attentat de l’aéroport de Moscou Demodedovo du 24 janvier n’était pas l’œuvre d’un terrorisme caucasien, mais du régime lui-même, comme un moyen de détourner l’attention de la dégradation rapide des conditions de vie du Russe moyen.
Accusation infondée, monstrueuse même, mais qui en dit long sur la méfiance qui s’est installée dans toutes les couches de la société russe vis-à-vis du régime.
A partir d’un certain gâchis social, les masses deviennent ingouvernables. Elles croient l’invraisemblable par la seule raison que ce n’est pas le pouvoir d’Etat qui en décide et que le bouteillon est hors contrôle, donc plus autorisé que toute déclaration officielle !
Un peuple qui n’espère plus rien de l’avenir est une bombe à retardement.
Non seulement le gouvernement est impuissant à stopper le terrorisme islamique, mais encore incapable de mettre fin à la manière dont les fonctionnaires, du garde-barrière aux plus hauts dignitaires, se font des rentes « sur le côté » en monnayant le moindre service résultat de son travail ou de son pouvoir pour lequel, en principe, ce fonctionnaire est payé par l’Etat. Il faut avoir débarqué souvent dans les aéroports russes pour savoir qu’un pourboire habilement glissé dans une main « presque tendue » dispense de tout contrôle. Poutine aura beau prendre des mesures, licencier le directeur de l’aéroport de Moscou, il n’y changera rien ! Si ça se trouve, le malheureux qui va faire les frais de l’attentat, est peut-être le type le plus honnête du secteur !
Reliquat du système communiste ? Habitude inscrite dans les gènes ? Le bakchich est un sport national comme moyen de défense d’un niveau de vie mis à mal par le système capitaliste à l’état pur, succédant à un étatisme économique sans pareil.
Cette habitude ancienne ronge la société et la ferme à tout progrès.

8400a.jpg

Les Russes sont de tous les Européens ceux qui sont les plus diplômés, les plus cultivés. La vie là-bas, si elle n’est pas drôle, a une compensation que nous n’avons plus : les arts !
Tous les Russes un peu cultivé s’y adonnent. Comme Popov, ils réinventent au fur et à mesure ce que nous croyions avoir inventé, non pas comme les Chinois en duplicata, mais par un génie propre au pays.
La musique, la littérature, la peinture sont parmi les conversations du quotidien les sujets préférés. Il n’est pas rare qu’un homme rencontré par hasard dans la rue, mal habillé, pauvre visiblement, habitant un ensemble ressemblant à une caserne stalinienne, à vingt kilomètres du centre, soit aussi un ingénieur à la retraite obligé de consacrer ses dernières forces à des petits boulots pour survivre et qui fait des heures supplémentaires, rien que pour assister depuis l’amphi, à une première au Bolchoï.
Il vous citera des passages entiers des œuvres de Dostoïevski et finira par un poème de Pouchkine qu’il analysa, dans sa jeunesse, à un cours d’Abramov.
Le drame du Caucase, dont Medvedev ne sait comment se dépêtrer, montre à quel point il est difficile aux anciens dignitaires du régime communiste de se débarrasser des habitudes héritées de feue l’URSS.
Ce pays vaste, riche de ses forêts et de ses ressources minéralogiques est exploité comme une république bananière par ses dirigeants. Il leur est forcément pénible de se séparer des morceaux que les anciens tsars avaient taillés dans les territoires voisins d’au-delà de l’Oural, comme les tensions restent toujours vives dans les relations que le pouvoir actuel entretient avec les pays baltes.
Longtemps, la population a cru que les rivalités avec le monde occidental persistaient comme du temps de la guerre froide. Obama leur a donné à voir qu’elle se trompait. La Russie n’est plus ce grand rival craint. A côté de la Chine qui s’éveille au rêve d’être bientôt la première puissance mondiale, la Russie est tout à fait sortie de son rôle de concurrente au leadership.
Les gens de Saint-Pétersbourg et d’ailleurs savent aujourd’hui que les tensions avec les anciennes républiques, les rapports internes maladroits avec des populations disparates et parfois fort éloignées de « l’âme russe » sont principalement dus à l’inadaptation des responsables politiques et de l’administration du pays à une économie moderne et au dialogue d’égal à égal avec le reste du monde, sans oublier les anciens pays du bloc soviétique aux premières loges.
Tout fait croire que la machine peut s’emballer et que tout est possible.

Poster un commentaire