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L’échec du bouffon.

Les bouffons tiennent aujourd’hui le haut du pavé. Certains se paient de locutions latines qu’on n’apprécie que chaussé de caliges ; d’autres, bouffons de cour, versent dans la pédanterie du cuistre, leur austérité n’est que de façade par l’effet d’une conscience dimorphe.
Toutes ces bouffonneries actives se rejoignent sur un point : la traque des responsables d’une situation qui ne saurait être pire. Il ne leur viendrait pas à l’esprit qu’ils sont pour beaucoup dans celle de ce pays.
Quoi de plus commode de désigner à la vindicte moutonnière le moins apte à se défendre dans une société de consommation : le chômeur !
Ces faux érudits, ces vrais censeurs, feraient bien d’abandonner les vade-mecum de la suffisance, avant de se hasarder dans ce qu’ils ne connaissent pas.
Parmi la foule innombrable des bons auteurs, plus utiles à l’édification du lecteur sensible que les fatras servant à gagner trois mille euros le mois au départ d’une université, citons Robert Louis Stevenson : « Une apologie des oisifs », titre original « An Apology for Idlers ».
Certes Paul Lafargue, peut-être même Marsan, justifieraient-ils plus aisément la limite de ces bouffons, dans ce qu’on appelle dans les universités, la littérature qu’il faut avoir lue pour mieux la réfuter, si ce n’était la supériorité de Stevenson, comme celle de Swift « Instructions aux domestiques » sur les gens de maison, ouvrage qui aurait été utile à Nafissatou Diallo.

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Les débuts de l’apologie des oisifs sont à encadrer.
« Aujourd’hui, chacun est contraint, sous peine d’être condamné par contumace pour lèse-respectabilité, d’exercer une profession lucrative, et d’y faire preuve d’un zèle proche de l’enthousiasme (1). La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail. »
Tout est dit dans ce paragraphe incipit.
La gauche et la droite, dans le même déchaînement à l’égard des modestes prébendiers de la société de consommation, essaient vainement de cacher la bêtise confondante de ceux qui comparent le voleur de pommes aux monstres affameurs de millions d’hommes.
Et c’est là que l’on voit la malfaisance de la bouffonnerie triomphante prendre le pas sur l’intelligence et la sérénité nécessaires à une réflexion politique.
Ce qui dérange chez le chômeur, c’est le refus des valeurs supposées au nom d’une oisiveté sélective. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il est loisible de laisser aux hommes la possibilité du choix : celui de travailler ou de ne rien faire.
Certes, dans la seconde alternative, le pain est noir et le broc est d’eau claire, mais le cœur s’y sent libre et le geste n’y est pas mesuré, comme la course d’une came sur son arbre.
Bien plus nuisible est l’oisiveté du riche. Sur ce dernier pourtant, nos bouffons ne tarissent pas d’éloges. De quel droit un oisif fortuné peut-il consommer plus qu’il n’aura jamais gagné de ses mains ? Alors, qu’on fait un crime de l’oisiveté du chômeur qui n’en demeure pas moins pauvre ?
Mais la mansuétude du chômeur est à l’inverse de la volonté des bouffons de mettre sa tête à prix. Le chômeur en veut tellement peu aux riches, que, s’il le pouvait, il n’aurait de cesse de les imiter (2). Plutôt que céder à des instincts mercantiles, on le verrait bien céder alors à ses élans de philanthropie. Sauf, que cela n’arrivera jamais. Contentons-nous de le croire par défaut !
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1. L’essai écrit en 1877, il était normal que Stevenson utilise l’adjectif « proche » juste avant « enthousiasme ». En 2012, il eût écrit « un zèle enthousiaste » !
2. J’ai écrit ce texte pendant le temps des vacances, sachant combien le travailleur, à la tête de jours entièrement à lui, est plus compréhensif à l’égard des oisifs, que le reste de l’année.

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