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Rendons sa dignité au glandeur !

Voilà un sacré bout de temps que nous entrons dans la civilisation des loisirs à reculons. On nous l’avait promise, cette civilisation, comme étant la consécration d’un travail toujours plus productif et, forcément, de plus en plus court.
Il est tellement devenu court pour beaucoup, qu’il a fini par disparaître.
La prévision s’est révélée fausse pour ceux qui restent actifs. Moins il y a du travail, moins on le partage. Il n’est pas rare que le temps de travail soit en hausse constante d’un côté, comme s’il y avait une compensation pour ceux qui ne travaillent plus, de l’autre.
Le système déréglé, une partie non négligeable de la population, sans rente, ni héritage, occupe la même position que Paul Frère (encore, qu’il nous dit travailler beaucoup) et Liliane Bettencourt qui, elle, n’a rien fichu de ses dix doigts depuis au moins un demi-siècle.
Il paraît difficile de cataloguer cette nouvelle classe des loisirs. Comme elle est sans grands moyens, elle prend ses quartiers à son domicile, encore faut-il qu’elle en ait un.
Pour beaucoup, ce nouvel état est une découverte.
Ne rien faire avec talent relève d’un esprit des loisirs qui échappe au commun, plus proche de l’ennui que du plaisir. Cependant, Jules Renard relève dans son journal « Je ne m’embête nulle part, car je trouve que, de s’embêter, c’est s’insulter soi-même ». Et il s’y connaissait, le bougre, puisqu’il ne lui suffisait pas d’être heureux, mais qu’il fallait encore que les autres ne le fussent pas, comme il pensait que l’ennui est encore un état supérieur au travail !
La génération actuelle a été élevée dans « l’amour » du travail, ou tout au moins de son respect.
C’est en cela que l’homme libre diffère d’un autre, qui trouve honteux que l’on ne travaillât point, soit à l’enrichissement personnel, soit à la grandeur de la nation. Curieusement, de ce point de vue, la droite et la gauche ont la même vision du travail. Elles ne diffèrent que dans la répartition de ses fruits. Quelle différence fait-on entre un travailleur de la General Motor, et un stakhanoviste du temps de Staline ? Ne sont-ils pas tous les deux abusés par le pouvoir ?
On le voit aux congés payés, la Culture qu’elle soit de masse ou individualiste, introduit la notion d’activité en Club de vacances, de sport ou de détente.
On y retrouve comme dans la vie courante, l’efficacité, le goût de la compétition, et cette rédemption imbécile dans la souffrance du marathonien qui nous vient des premiers chrétiens, quoique nous ne soyons plus guère touchés par la foi.
Qu’est-ce qu’un épicurien ressent lorsqu'il part en voyage de vacances ? Rien, sinon, d’avoir le regret d’être parti, vaguement intéressé par un autre climat, en comparant la piqûre d’un moustique de chez nous, avec un exotique.
Quel sens donner à des vacances limitées dans le temps, sinon qu’elles se termineront aux dates prévues. Il n’en va pas de même pour celui qui aborde la civilisation des loisirs par la petite porte des licenciements et du chômage.
Le voilà assuré de pouvoir mettre à profit une méditation illimitée, pour tout autant qu’il navigue intelligemment dans les dates butoirs, les rendez-vous d’emploi et les extravagances administratives.
Des enrichissements spirituels lui sont ouverts, pour tout autant qu’il sache en percevoir l’intérêt. Il peut rêver et lire tout son saoul, écrire à volonté, se former aussi lentement qu’il le souhaite à des disciplines librement consenties, pour le plaisir.
Il peut arranger à sa guise des rendez-vous sans le stress de l’horloge-pointeuse, il n’a pas de maître et ne connaît pas de limite à sa paresse.
Comme Rousseau, il ne connaît qu’une manière de voyager : et c’est d’aller à pied.
Certes, il ne gagne pas lourd, mais qu’est-ce à côté de tous les bienfaits qu’il tire gratis de sa situation ?

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S’il s’avérait que fût nécessaire d’épouiller en priorité le monde d’un parasite, le riche oisif l’est davantage que le chômeur. C’est une tique qui pond ses œufs sous la peau sociale. Le glandeur, une petite puce qui prend juste le sang qu’il faut pour survivre.
Celui qui entre dans les temps de loisir à reculons l’est rarement de son plein gré. Il en a toujours été ainsi. Ce qui est doux à l’homme, n’est pas tout de suite perçu comme tel.
A-t-on passé un seul jour de notre éducation sans qu’on nous ait assurés que le travail est bon à la nature humaine. Et nous l’avons cru !
Comme Anatole France l’écrit en se moquant de Madame Bergeret « Le labeur nous distrait de notre propre vie et nous détourne de la vue effrayante de nous-mêmes. »
Il est vrai que le travail – puisqu’il passe pour une fatalité – amuse notre vanité, trompe notre impuissance, nous convainc de « sa vertu » et n’est pas éloigné de nous faire croire qu’il modifie notre destin.
Ce qui flatte dans le travail de ceux qui « ont réussi » c’est qu’ils passent pour plus intelligents que les autres. Alors, qu’ils ne sont le plus souvent que des imbéciles instruits, à la conversation insipide, à l’esprit borné.
Comment montrer à ceux qui n’en sont pas convaincus, la grandeur de l’homme qui ne fait rien, en même temps qu’il n’exploite pas les autres ou si peu, tant il se garde d’entreprendre !
Voilà un domaine dans lequel la psychologie n’est nulle part, qui donnerait un sens au métier de psychologue : apprendre aux chômeurs à ne rien faire, tout en leur rendant de la dignité !
L’ennui, c’est qu’il faudrait une armée de psychologues menteurs, puisqu’ils glorifieraient le droit à la paresse, tout en travaillant eux-mêmes !
Le glandeur volontaire, c’est le premier résistant du système capitaliste. Il le ronge de l’intérieur.

Commentaires

Et oui Richard, on perd parfois sa vie à devoir la gagner (Goldman JJ).
J'ai déjà eu l'occasion lors d'un précédent commentaire de mentionner l'allocation universelle.
Il y a une bonne introduction du concept dans Wiki.
Pour résumer, il n'y a plus d'allocations de revenus de remplacement (chômage, CPAS, pension).
Chaque citoyen reçoit une somme mensuelle d'un montant permettant d'exister et de participer à la vie de la société.
Après, il fait ce qu'il veut de sa vie. Si il a besoin de plus d'argent, il travaille.
Un débat assez avancé sur l'instauration de cette allocation a été fait au Canada et en Hollande.
Le concept a finalement été rejeté, non pas pour non faisabilité économique, mais pour raison "morale".

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