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La machine à rires.

On ne rit plus aujourd’hui comme il y a vingt ans.
Y a-t-il une barrière entre le rire de Guy Bedos, Desproges et Raymond Devos et le rire des Frères Taloche et de François Pirette ? Eh ! bien sûr, il y en a une. C’est la barrière de la culture. On n’a pas besoin d’être au top de la politique, ni de la langue, pour les compères de la gaudriole récente.
Le champion de demain, c’est l’artiste dont le rire se sentira comme un pet.
C’est la différence du rire qui suscite une réflexion et celui qui n’en suscite pas.
Le public serait-il plus con depuis qu’on progresse dans la mondialisation et le help yourself économique ?
C’est un point de vue, confirmé par le genre d’études qu’on fait aujourd’hui dans nos écoles, de plus en plus spécialisées dans ce qui fait gagner du pognon, délaissant ce qui fait d’un étudiant, un homme complet. Ça arrange un paquet de monde.
Nous entrons dans le règne de l’immaturité sociale au profit de la compétence technique (ce qui n’empêche pas des millions de chômeurs).
Les showmen des scènes de 2013 ne revendiquent rien et, pour tout dire, ne font pas de politique, sinon dans des parodies tellement burlesque à l’André Lamy qu’elles servent plutôt ceux qui en sont « les victimes » ; car elles leur permettent d’assurer leur popularité.
L’esprit montmartrois qui avait survécu, vaille que vaille, depuis une lointaine avant-guerre n’est plus audible par un public qui a abandonné toute velléité de lutte sociale. La lutte des classes, c’est bien fini pour le grand nombre. Il s’est condamné au parcours d’un monde de compétition d’une rare violence dans la conquête d’un salaire à conquérir sur le voisin et, pour le reste, que l’Europe s’écroule, l’homme moderne n’en a plus rien à cirer.
Le rire doit donc être rapide, d’une consommation en fast-food marquée par des comiques auprès desquels Laurel et Hardy sont des génies. Le rire fabriqué est autant gestuel qu’écrit dans une langue approximative, qu’on appellerait franglais-arabe, à la portée de tous.
Le soap-opera à la télévision, le rap des populations immigrées à la radio, le théâtre de Djamel Debouze et les invités de Laurent Ruquier construisent une sorte de rire-réflexe que François Pirette illustre sur les scènes en bigoudis et tenue scout.

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La cible – et c’est là qu’on voit le dessein de l’entreprise, pour autant qu’il y en ait un – on ne se moque plus des puissants et des riches, on se moque des pauvres, en quelque sorte de nous-mêmes.
Et ça marche !
Puisqu’on a abandonné le rire vengeur, on tombe dans le rire mystificateur. Se moquer des travers des incultes et des démunis du ciboulot (ce que la population tend à devenir) ne serait bénéfique que si on se moquait aussi des classes supérieures.
Ce n’est plus le cas.
Dès lors, ces comiques participent du pouvoir qui tend à infantiliser les foules dans le but de les mieux asservir.
Mine de rien, ceux qui font le LOL d’Internet ne font pas autre chose, à l’exception de quelques morceaux de bravoure inhabituels qui sont à l’humour, la prose que Monsieur Jourdain faisait sans le savoir.
Quelques îlots de rires décapants subsistent. Groland tient encore, comme les successeurs du professeur Choron. Ils attestent par leur drôle de mauvais goût, que les espoirs de se foutre de la gueule de ceux qui nous subjuguent ne sont pas tout à fait abandonnés.
Mais, il y a bien trop de comiques lourdingues qui ont du succès pour espérer autre chose que des poches de résistance.
C’est le rire des cavernes des temps modernes qui envahit le spectacle.
Et on a encore rien vu. Il suffit de s’en rendre compte en regardant la télévision américaine.
Nous n’y échapperons pas !

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