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Sortie de table…

Les vocations tout de même ! On en parlait hier. Le printemps qui s’était trompé de date, déléguait le soleil dans le Juliénas, dont elle tenait le verra à pied de ses doigts fins.
Le ciel était du côté de Kundera, par sa légèreté d’être.
À la télé, les rase-murailles rugissaient aux bruits des Tokarev TT 33.
Les moments de béatitude déconnectée sont imprévisibles.
Supposons que de farouches barbus posent leurs kalach dans un coin de la chambre à coucher et tombent l’abaya devant quelques-unes des 67 vierges promises. L’assassin fourbu prendrait un acompte de l’éden d’Allah.
– Quoi, la mousmé, tu pourrais mettre un peu du tien.
– Et toi, guerrier intrépide, tu appelles ça bander ? On dirait le petit doigt du prophète !
– Fadila tu blasphèmes.
– T’as vu l’heure ?
– Ouais, faut se lever tôt. Demain, j’assassine !
Question métaphysique que devrait se poser Béatrice Delvaux : un tueur, ça bande quand ? Pendant ou après le crime ? Avant, ça m’étonnerait à cause du stress. Est-ce que l’exploit procure des fantasmes orgasmiques, comme une « petite mort » ?
– Je prendrais bien un grand-marnier…
Et voilà qu’au moment du doux assoupissement gage des digestions de l’excellence d’un repas, elle émet quelques objections. Son destin professionnel la contrarie. Je renonce à lui proposer une petite sieste à deux. Vu la conjoncture, on n’en connaît pas l’issue.
– Est-ce le moment de parler salaire un jour de mobilisation générale ?
En imposer au destin est son ambition. Elle se voit instrumentiste de chroniques étincelantes devant d’imposantes rédactions d’avant la crise.
- Éditorialiste, quoi !...
Elle répond par un haussement de ces belles épaules.
Le débat est rémanent. Y a-t-il un métier plus à la botte des patrons de presse et des lecteurs, que celui d’écrire « juste ce qu’il faut », pour plaire à tout le monde ?
A l’acide de nos rapports difficiles, alternent, heureusement des instants délicieux. Un chaud et froid inapproprié gâche tout. Après, il faut des heures avant d’oser lui toucher le genou.
Faire « garçon à l’humeur douce » n’est pas une sinécure. Pour acquérir cette conviction, elle n’a jamais lu une ligne de « Richard III ». Sans quoi, elle aurait trouvé suspecte mon lyrisme des jours de pluie. J’aurais été seul à chasser le papillon. Se promener nue à Sète, face à la mer, l’été prochain, il ne fallait plus y songer.

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– Tu t’en fiches bien de ce que j’aurais voulu faire et que je ne ferai jamais, toi, tu ris tout le temps de tout ! C’est énervant à la fin.
Pour cette fois, elle n’a pas dit « toi, tu ris de tout sottement » comme d’habitude.
J’en suis tellement touché que je prends sa main dans la mienne. En conséquence, je m’abstiens d’être lourd. « Le paradoxe du léger, alternance entre diabolisation de l’insignifiance matérialiste et hymne à la gloire du paraître et de l’apparence », dire ça à une femme charmante a quelque chose de suicidaire.
– Tu veux faire ta Béatrice Delvaux, ma chérie ? C’est vrai qu’elle a eu le ton très juste sur la 5 française.
Louanges que je regrettai aussitôt.
Comme elle ne sait rien de la manière de Richard III d’accommoder les « gestes », on a lu ensemble les gros titres de la presse belge. Mesurant sa distraction, j’en profitai pour laisser une main distraite folâtrer dans l’échancrure de son blouson Gautier, elle la retira aussitôt avec un indicible dégoût.
– Qu’est-ce que tu sais de l’actualité, pauvre type ?
– Jan Jambon a doté ses services de moyens suffisants pour lutter contre le radicalisme. Je suppose qu’il va s’inscrire sur la liste des suspects. Son radicalisme flamingant ne fait pas l’ombre d’un doute.
– C’est ça ton actualité ?
Et encore, je me suis bien gardé de dire tout. De toute manière, les autres en savent toujours plus que nous-mêmes.

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