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Les Contes de la Merdoie !

– Chaudy Bas-de-Laine, vous être le nouveau ministre des « Petits Vieux ». Pourquoi « Petits » ?
– Vous n’êtes pas sans avoir remarqué que la vieillesse rapetisse. J’ai voulu cet adjectif pour témoigner que je suis aussi le ministre des petits.
– On parle beaucoup de votre nouvelle maison de retraite. Pouvez-vous en dire deux mots ?
– Albin Guerrelasse, ce projet me tient à cœur. Il a été réalisé par Dufer-Valoir, l’architecte liégeois que le monde s’arrache. Nous avons donc appelé le home «Le Valoir ». De prime abord la maison de retraite offre l’aspect d’un immeuble de trois étages, alors qu’il en compte six.
– Vous avez proportionné les étages en vertu des tailles des pensionnaires ?
– Oui. Au-dessus d’un mètre soixante cinq, c’est le rez-de-chaussée avec un plafond à un mètre nonante et ainsi de suite, jusqu’au sixième étage pour les plus rétrécis, le plafond étant à un mètre cinquante.
– Le personnel doit donc y courber l’échine.
– Oui, c’est sans problème. Nous sommes dans le Mouvement réprobateur…
– Oui, le MR…
– …un parti où le personnel courbe l’échine naturellement.
– Monsieur Chaudy Bas-de-Laine pouvez-vous nous préciser quelques détails techniques du « Valoir » ?
– Nous disposons, malgré le peu d’espace, d’un hôpital morgue-crématorium ce qui nous permet d’évacuer les fins de vie très rapidement.
– C’est nécessaire compte-tenu de la forte demande.
– Nous répondons aussi au vœu des familles de procéder très rapidement à la disparition de leurs membres trop âgés.
– Oui. C’est un souci du gouvernement, à ce qu’il paraît.
– Nous professons que le retraité doit pouvoir vivre et mourir sur place dans la dignité d’un accompagnement total jusqu’au salon extrême où il a droit d’être exposé quinze minutes maximum avant la crémation, à seule fin que les familles puissent lui rendre un dernier hommage.
– C’est un peu court.
– Vous croyez ? Des familles se sont plaintes de la longueur du temps d’exposition ! Aussi nous avons mis à disposition des jeux électroniques et même un kicker.

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– Et les centenaires, que sont-ils devenus ? Les gazettes sont muettes là-dessus.
– Le gouvernement précédent a dû démissionner parce qu’il n’avait pas suffisamment pris en compte l’étonnante longévité des classes 60, tous quasiment centenaires aujourd’hui. Les michelistes disparus avec cette famille honnie, les chastellistes plus réalistes leur ont succédé avec le succès que l’on sait au Mouvement Réprobateur.
– On meurt plus jeune aujourd’hui.
– Évidemment, grâce au burnout et surtout au stress des fins de mois. Le nouvel accord patronal est plus déprimant encore. Nous en espérons beaucoup !
– Organiser la pénurie n’a pas été chose facile ?
– Non. Les petits vieux avaient fait des provisions. Nous avons maintenu le plan de sécurité 3 et nos perquisitions dans ces tranches d’âge nous ont permis de récupérer des sacs de riz et des balles de café, denrées qui avaient presque disparu dans nos contrées et que cette tranche d’âge avait pris l’habitude d’amasser par le souvenir de l’ancienne guerre quand les adolphins affamaient les populations.
– Comment voyez-vous l’avenir ?
– Monsieur Guerrelasse, nous aurons retrouvé l’équilibre financier vers l’an 2500 environ.
– …après JC.
– Vous faites bien de préciser pour ne pas fâcher ceux qui utilisent désormais le calendrier de l'hégire musulman. Les gens mourront à septante ans et deux mois en moyenne.
– …ce qui leur fera quand même deux mois aux frais de l’État.
– Oui, puisque nous aurons rétabli la retraite à septante ans.
– Encore un mot, monsieur le ministre des « Petits Vieux », vous avez quel âge ?
– Vous savez, je ne compte pas, comme je ne compte pas mon dévouement absolu à la cause que je défends. Je sais que je n’aurai pas la chance de finir mes jours au « Valoir ». J’ai prévu un lieu de retraite aux alentours du Cap d’Antibes, si vous voyez ce que je veux dire. Je travaillerai jusqu’à mes dernières forces et même là, j’y cultiverai l’olivier et le mimosa.
– Ce sera un déchirement !
– Sans doute. Mais vous, Albin Guerrelasse, quel âge avez-vous ?
– …c’est assez confidentiel, dans notre métier des médias... Vous vous rappelez Christophe Daubrac…
– …parce que vous ne mesurez pas tout à fait un mètre septante et je me demande, en vous tassant encore, si vous ne seriez pas bon pour le sixième étage du « Valoir ».
– Merci bien. J’en ai eu un avant-goût en me retrouvant au cinquième de l’hôpital de la Mortadelle perché sur la colline de la rive gauche.
– Je connais. Vous étiez dans le service du docteur Géri Âtre.
– Je n’ai pas envie d’y retourner.
– Là je vous comprends… c’est un dirupoisse persistant, les pires.

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