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Explicit liber.

La thèse de Mandeville « Il faut confier le destin du monde aux pervers. » ne s’accomplit-elle pas avec l’accumulation d’argent autour d’une centaine de milliardaires pour bientôt sept milliards d’individus ? La libération des pulsions de cette petite communauté du fric rassemblant presque tous les pouvoirs, est déjà un fait, même si, parfois, l’un ou l’autre richissime abandonne un milliard dans un welfare, comme un scout ferait sa BA ?
Le néolibéralisme a un dynamisme incroyable, personne ne le conteste. Le problème, on ne sait pas arrêter la machine, ni le discours du capitalisme, fondé sur la destruction créatrice, énoncée par Joseph Schumpeter « Capitalisme, Socialisme et Démocratie. ».
Mandeville divise l’humanité en deux, les scélérats qui refusent de renoncer à leurs désirs et à leurs pulsions et la majorité des gens qui acceptent la frustration et la répression libidinales.
Entre les deux, une troisième classe peu nombreuse, groupant ceux qui feignent renoncer à leurs désirs pour mieux berner les autres. C’est à eux que revient la conduite du monde. Mandeville y flaire le pot-aux-roses, « le bien procède du mal ». De la rouerie, de la perversité, de l’hypocrisie de quelques-uns, de leur enrichissement et de la satisfaction de leurs désirs coupables naît l’harmonie et le bien commun. La radicalité de Mandeville, et ce pour quoi il sera rejeté par ses contemporains et honni par l’histoire, est de conférer une dimension politique essentielle à la pulsion et au désir.
En se basant sur la corruption de l’âme humaine, son aptitude au déni et à la dénégation, sa propension à préférer les fictions plutôt que la réalité, son appétit de reconnaissance et sa volonté de trouver refuge dans le phantasme, Bernard de Mandeville échafaude une politique et une économie nouvelles de son temps, diablement proche du nôtre.
Libérer les pulsions et faire de l’argent l’objet de tous les désirs, c’est le capitalisme trumpien ! Mandeville, un libéral à la Trump, le philosophe est pourtant oublié. Il a bouleversé la psychanalyse moderne et a probablement influencé Freud et Jung, sans que ces deux grands de la psychanalyse n’en aient rien laissé paraître.
Un an avant la Régence de Philippe d’Orléans, en 1714, à l’aube du Siècle des Lumières, l’opuscule de Mandeville est la porte de l’inconscient de l’âme humaine. Personne ne s’y était aventuré, sinon sous le sceau de la foi et les billevesées de la repentance, dans lesquelles sombraient Louis XIV et les dévôts.

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Sur la question de la perversion, il énonce une vérité qui a mis plus de deux siècles à se voir confirmée. Elle est l’apanage de la classe des rusés amenés à diriger les hommes par le bout de leurs pulsions. Perversion qui est la caractéristique psychologique des grands capitalistes actuels et sans laquelle le libéralisme ne se fût jamais développé.
Mandeville s’est posé une question dont Freud n’a jamais parlé. On la formule ainsi « Pourquoi, si on peut libérer les patients individuellement, ne pourrait-on envisager de les libérer collectivement ? ».
Il faut attendre Lacan pour déblayer les non-dits des psychanalystes précédents et enfin accéder à l’évidence d’un capitalisme financier contemporain « mandevilien » jusqu’au bout des ongles.
Mandeville a démonté le logiciel caché du capitalisme. Celui dont se serviront les économistes d’Adam Smith à Friedrich Hayek (1).
C’est quoi au juste « le capitalisme d’avenir » ? Il s’inscrit dans le marbre : fin de l’amour du prochain !
Le travail de détricotage des « avantages » a commencé dans toute l’Europe. C’est la fin des régimes spéciaux et l’avènement de la retraite par points en France. Une purge que Coca-cola Bacquelaine voudrait bien remettre à l’ordre du jour en Belgique. Ce n’est que partie remise.
La fameuse théorie du ruissellement aurait tendance à couler à l'envers. Mais on commence à comprendre le coût de ce pacte diabolique : la destruction du monde.
« Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En vain vous cherchez à associer la grandeur d’une Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui puissent se flatter de jouir des agréments et des convenances de la terre, d’être renommés dans la guerre, de vivre bien à son aise et d’être en même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits. » écrit Mandeville, je le répète, en 1714.
On y est. Que dire de plus ?
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1. Hayek : dans une autre chronique, j’ai dénoncé sa froideur dans sa logique du crime social.

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