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Discours d’expert.

D’abord le discours du chef. Pour n’être expert en rien dans le domaine politique, le chef est expert en tout. Le seul domaine où il pourrait briguer l’expertise ne saurait être que dans la profession qu’il quitte pour se mettre dans la représentation du peuple.
Ainsi, Louis Michel, MR retraité, fut régent en langues germaniques à Jodoigne pendant dix ans. Personne ne lui a jamais demandé de s’exprimer sur la philosophie de Schopenhauer, encore que ce genre de question pût dépasser son niveau de compétence.
Pourtant en considérant l’intérêt général, c’eût été le seul service compétent dans ses cordes.
Il faut croire que la notoriété en politique dispense de l’expertise dans quelque domaine, puisqu’il ressort que le chef l’est dans tous !
Parler est ainsi le vecteur de l’expert en tout que les partisans veulent entendre. Que serait-ce aujourd’hui de Georges-Louis Bouchez s’il avait la voix haut perchée et par moment nasillarde ? Un chef silencieux, n’est pas un chef. Il ourdit quelque complot dirait-on.
Ce n’est pas d’esthétique, ni de bel canto dont il est question, mais de politique.
Le contenu du discours, c’est autre chose. En principe, il ne sert à rien. La voix qui charme, s’élève, s’abaisse en un murmure rieur, puis éclate en fureur comme celle de Néron dans Britannicus, c’est l’Alpha et l’Omega du discours du chef.
Le chef, tout prolixe soit-il, ne dit absolument rien. Di Rupo dans son discours sur l’état de la Wallonie n’a même pas changé de ton lorsqu’il a parlé du petit milliard qui va manquer bientôt. C’est inutile, puisqu’il ne s’agit pas d’un petit milliard, mais d’un autre chiffre que je suis incapable de recopier ici avec précision, tellement le discours du chef est bien au-dessus de ces contingences.
Pourtant, prévenu contre sa politique, je ne suis pas un militant pardonnant tout. Sauf quand Di Rupo dérape, poussé par un « communisss » qui l’interpelle sur sa gestion, la voix qu’il ne contrôle plus, part en ficelle dévoilant malgré lui le genre de sa sexualité. Ce moment affreux ne s’étant pas produit, le chef a été félicité pour sa rigueur et son intégrité, comme d’ailleurs on le fit pour José Happart, lorsqu’il prit sa retraite de président de l’Assemblée wallonne, juste avant de passer devant un tribunal pour se faire acquitter d’une affaire de concussion heureusement hors délai et prescrite.
Donc, le chef ne dit rien, mais avec beaucoup d’aisance et en un bouquet de phrases qu’il module suivant le temps qu’il souhaite rester à la tribune. Son discours consiste pour l’essentiel en une célébration maintes fois répétée, des normes de vie traditionnelle.

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La rhétorique du discours expert, dans le cas de l’expert d’hôpital est différente. Il doit quand même expliquer les raisons qu’un malade a de mourir. Il ne part en termes techniques dans un jargon incompréhensible du profane que si le patient n’est pas convaincu ou qu’il sollicite une raison d’espérer. Son expertise ne se base pas sur les examens préalables, les radios, les résultats des lasers mais sur le nombre de malades qu’il a rencontré dans sa carrière dans le cas spécifique. Si c’est un vieil expert, ils le sont en général après quarante ans, la norme de décès ne lui permet pas de modifier quelque peu le tour tragique de la maladie en offrant quelques vaines paroles d’espoir, mais qui seront accueillies comme paroles de jouvence pour le malheureux. Il profitera de l’effet « irrémédiable » de sa surprise pour s’éclipser et laisser l’autre dans une état voisin de la prostration.
On peut ainsi répertorier dans tous les cas d’expertise des formes ritualisées de discours.
L’usage répété de formules convenues est constant chez l’expert. L’universalisme supposé du propos le dispense d’aborder les explications. Les explications sont des pièges que tendent les maniaques et les contre-experts qui n’attendent que ça pour se lancer dans la controverse.
Heureusement l’expert qui n’est pas politique, donc qui est attendu au tournant de ses conclusions emploie le style formulaire. La présence d’un terme suppose la coprésence d’un autre, les deux formant une association indissociable.
Le chefs ont à leur disposition des mots tiroirs qu’on aurait pu relever dans le discours de Di Rupo, mais encore des autres chefs d’autres partis politiques, entraînant ainsi la prévisibilité du discours.
On reconnaît le chef dans « élargir l’éventail des choix, l’éradication de la pauvreté, mettre la technologie et les connaissances au service du développement de l’homme, les interdépendances se renforcent mutuellement, les avancées (vers la démocratie, les droits de l’homme, etc) sont sans précédent, mais restent menacées, le fossé ne cesse de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres, le chemin a parcourir sera toujours trop long, la reconnaissance d’échecs invite toujours à tirer les leçons du passé, relever les nouveaux défis », etc.
Enfin dernier groupe d’experts, l’expert chic dont la spécificité est extrêmement réduite, par exemple l’expert qui ne l’est que dans la période bourguignonne entre 1256 et 1309.
En général, ces experts ne travaillent pas le dimanche, ni les jours en semaine. Les disputes n’interviennent qu’entre eux quand il s’en trouve deux sur le même coup. Parfois, ce genre d’expertise passe dans les colonnes du Monde au titre de curiosité.

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