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DÉPÔT DE BILAN

J’étais en état de sidération sur le parking du Carrefour, cet après-midi. Combien de temps suis-je resté les deux mains sur le volant, incapable de sortir d’un tourbillon d’idées toutes centrées sur un dépôt de bilan personnel, que j’aurais dû faire depuis longtemps.
Un voile s’était déchiré qui me rendait perceptible l’histoire d’un type, la mienne, incertaine, chaotique, pour tout dire, un type en état d’apraxie. Je me croyais de gauche. En étais-je bien sûr ? Et si j’étais devenu « non bis in idem » un suppôt aux pieds crochus de droite, par le travail d’une imagination qui n’aime pas repasser les mêmes plats ?
Auparavant, j’avais vu déambuler d’une démarche gracieuse, un bel homme noir en boubou traditionnel d’où ne dépassait qu’une paire de tong. Depuis l’entrée du magasin jusqu’à ma voiture, soit une vingtaine de mètres, j’avais pu observer cette lenteur dans la démarche qu’ont les gens sous le soleil à la recherche de l’ombre, à la fois traînante et chaloupée. Pendant ce temps, appuyé sur l’arrière de mon break, un autre bel athlète probablement né sur une berge du fleuve Congo, parlait à son smartphone comme s’il était quelqu’un. Dans le rétroviseur, je le voyais très expressif, s’indigner et rire franchement l’espace d’une réplique, sans marquer trop d’étonnement à ce que son locuteur ne soit qu’un morceau de plastique agrémenté de composant taïwanais.
L’idée de descendre de mon auto pour lui demander de ne pas s’appuyer sur la tôle d’icelle ne m’était pas venue. Je suis plutôt d’un naturel paisible que renforçait la musculature des bras qui saillaient d’un teeshirt Adidas du téléphoniste. Et en plus, va savoir, si ce bel athlète était aussi quérulent ou en passe d’être énervé par la mauvaise tournure de sa conversation éthérée ?
Parfois, slalomant entre les voitures, de jeunes métisses ondoyaient, nombril à l’air, vers l’entrée du supermarché. Elles en croisaient d’autres qui en sortaient. Aucune n’était de connivence. Elles semblaient provenir du quartier du Laveu, sans se connaître, ni même, j’en jurerais, dans l’impossibilité d’un bon mot pour n’avoir pas vu le film de Costa Gavras avec Yves Montand en vedette. Elles avaient cet air légèrement assoupi qui est une défense contre les moiteurs d’entre le midi et le soir à Kinshasa ou à Ouagadougou, dans la perspective d’une montée de la rue des Wallons, la bien nommée, un filet à la main.
Je me trouvais transporté sous les tropiques, nonobstant la présence du beau-parleur au téléphone tout en training Adidas, à présent que je le voyais mieux, puisqu’il avait quitté douloureusement l’arrière de ma bagnole, l’épaule endolorie, pour arpenter le reste du parking, son petit bout de capteurs électroniques à l’oreille, soudain pris d’une agitation inexplicable pour le voyeur que j’étais devenu.
Débouchant de nulle part, un barbu en abaya frôla le capot de ma Rossinante, cap sur les choses dont on ne soucie guère quand elles sont à portées d’être saisie, en chariotées vers une caisse, mais qui sont sous la forme d’un mirage au bord d’un oued asséché, tandis qu’au lointain se profilent les Monts Atlas.
Massif comme un minaret, barbu comme Khomeiny, il allait à grands pas comme Perrette, quérir un pot de lait ou toute autre chose qu’on négocie dans les souks du côté de Rabat et qu’ici, quel qu’en soit le prix, on achète sans dire un mot, accablé sans l’oser pouvoir dire d’une surenchère des étiquettes.

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La guerre en Europe, le président russe fermant le robinet du gaz, les Américains poussant à la guerre et Poutine à la conquête d’une Grande Russie, de Croo poussant le char de l’État, Bouchez en mouche du coche derrière, un hiver radiateur gelé, l’inflation et l’ozone produit à foison par une économie toujours délirante et des riches toujours plus riches, bref un avenir à se flinguer, comme cela était saugrenu, sur le parking de Carrefour ce mercredi après-midi !
Une seule pensée en tête, obsédante, suis-je de gauche ou de droite.
Et si je n’étais qu’un imbécile heureux né place Delcour d’une mère hutoise et d’un père principautaire maëstrichtois, rongé par la jalousie de voir « mon sol » envahi, submergé, occupé par toute une jeunesse conquérante ? Comme si ce sol n’avait jamais été qu’à moi, morcelé, vendu barricadé, par des Cockerill, des Mittal, des Rossel, des Alexandre Van Damme et encore par d’autres, bien avant que je ne naisse !
Suis-je un islamo-gauchiste compatible ou un nationaliste exacerbé par la perte de la terre de mes ancêtres ?
C’est alors qu’en dépôt de bilan, un commissaire-priseur vint à trouver un point commun entre les badauds de ce supermarché et moi. Pour nous trouver, un mercredi après-midi sur un parking de supermarché, une seule raison évidente nous ne fichions rien qui vaille ce jour-là. Seules, caissières et assortisseuses du Carrefour bossaient, farouchement, désespérément !
Est-ce qu’un constat est une idée de droite ou une idée de gauche ?

Commentaires

Bonsoir camarade, pas un dépôt de bilan, surêment pas, je crois comprendre ton raisonnement.Et je partage en partie ta réflexion, bonne sorée camarade.


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