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Quiet Quitting – et quoi encore ?

Les termes qui viennent d’outre Atlantique sortis de la bouche des employés des entreprises américaines font l’effet, en Europe, d’être des découvertes de stratégie anti managériale. On ne s’en rassasie pas. On laisse l’expression dans son jus en massacrant la langue d’origine ! « Quiet quitting » devient « Quiè quitingue ». On est ravi ! Tout ce qui tourne autour du business US attire les salariés de chez nous, comme le roquefort attire les mouches.
Depuis l’obsolescence des syndicats, les travailleurs belges sont sans culture syndicale. Ils ne perçoivent pas que ces expressions yankees étaient employées il y a bien longtemps, en langue française, dans des conventions que les patrons signaient sous la pression syndicale.
Les conventions balayées par le management de la polyvalence, les syndicats se sont reconvertis dans la billetterie des paris sur les jugements au Tribunal du travail, au bénéfice ou au grand dam de leurs affiliés.
Avant tout était convenu, un ardoisier ne pouvait faire un peu de plomberie entre deux toits, un relieur ne pouvait souder à l’arc et à l’autogène, à ses temps morts.
Aujourd’hui on n’engage plus un professionnel exerçant un métier. On engage une personne moyennement intelligente habile de ses mains. L’ingénieur behavioriste la place sur un siège adapté et lui indique les gestes qu’elle doit faire dans des temps imposés.
Un manuel peut aisément exécuter un travail de bureau et vice versa. Employé, il comble les heures creuses en jouant de la raclette comme laveur de vitres. Ouvrier, il va de la facture au rangement électronique des contrats, en suivant à la lettre un cheminement préétabli.
Le néolibéralisme c’est ça : l’absence de toute considération pour les métiers et ceux qui les exerçaient jadis, en exclusivité.
Du reste, il n’y a plus de métier, sauf ceux à haut potentiel, il n’y a plus que des tâches décomposées qu’un enfant de sept ans peut comprendre. Et c’est encore heureux pour notre jeunesse que nous ne sommes pas au Canada qui permet le travail des enfants.
Le mot du jour « quiet quitting » est une nouvelle tendance qui consiste à faire le strict minimum de travail, en refusant les heures supplémentaires ou des tâches en dehors de la mission principale.
Le « quiet quitting » (la démission silencieuse), c’est le retour aux conventions de travail, en faisant de la résistance dès qu’il s’agit d’être l’homme-à-tout-faire de l’entreprise. Sauf, qu’avant s’exerçait une solidarité par l’affiliation syndicale, à présent, le malheureux subalterne est seul devant celui qui a une épée de Damoclès au-dessus de sa tête et qui peut d’un seul coup le priver de revenus « honorablement » gagnés jusque-là par sa résignation et son silence.

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Les historiens du travail s’étonnent de l’étonnement des journalistes qui voyaient dans le système à pousser l’humain dans les rouages de l’économie moderne, le côté triomphant célébré par l’État libéral, dans la joie supposée « d’un bon job » dixit Georges-Louis Bouchez, recruteur-militant. Alors, qu’ils n’y trouvent que les scories d’une vie gâchée par un travail le plus souvent inintéressant, fastidieux et répétitif, complété par un autre travail du même ordre à l’occasion, histoire de boucher les temps morts. « Est-on tout doucement en train de vivre un tournant dans le monde du travail ? « disent ses faux naïfs.
Depuis la crise sanitaire, les milieux professionnels ne se remettent pas du choc bienfaisant que fut le travail à domicile, réservé, hélas, à certains métiers souvent de bureau. De cette révélation des millions d’Américains avaient quitté leur emploi, parce qu’ils n’étaient pas satisfaits des conditions de travail. Le Covid avait révélé que le fait de faire la même chose, mais à domicile, était plus gratifiant.
À la suite de ce séisme, le prolongeant, en quelque sorte, le « quiet quitting » est une interrogation sur la nature même du travail. « Pourquoi fais-je quelque chose d’inintéressant ? Parce qu’il m’est nécessaire pour survivre économiquement ! Je suis pris dans un piège si je le quitte pour prendre un autre emploi qui me conduira rapidement dans la même impasse ! ».
Ce raisonnement que font des millions de travailleurs revient à reconsidérer la source de ce travail stérile et infécond à titre personnel. Oui, pourquoi travaillons-nous contre notre plein gré ? Qui sont les forces qui nous y contraignent ? Avons-nous des droits à faire valoir contre elles ? Ils nous la baillent belle ceux qui vantent le travail, assis le cul dans le beurre d’un emploi qu’ils modulent à leur guise dans des salaires privilégiés.
Encore un petit effort et peut être que la génération qui monte reviendra aux rêves de 36, puis aux syndicats et à la philosophie de Paul Lafargue dans son ouvrage « Le Droit à la paresse » , paru en 1880, encore aujourd’hui, d’une grande modernité. Ce manifeste social centre son propos sur la « valeur travail » et l'idée que les humains s'en font. Le Droit à la paresse démythifie le travail et son statut de valeur, bien mieux que ne le font les expressions comme « quiet quitting » qui ne disent finalement qu’un ras-le-bol, sans trop chercher les causes.

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