La liberté est toujours la liberté de celui qui pense autrement.
Rosa Luxembourg
Encombré dinintéressants verbiages autour des familles princières et des frasques libidino-financières du show-biz, titillé par le million cinq cent mille sites de cul dInternet, mais, parallèlement, ayant accès à lintelligentsia mondiale, lhomo-2003 pourrait croire à lavènement de lâge dor, une sorte de bazar entre le vide-ordure et le bonjour dAlbert (Einstein), sil ny avait les comportements capricieux des hommes de pouvoir.
Beaumarchais avait ironisé là-dessus à sa manière.
On me dit que pendant ma retraite économique, il sest établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui sétend même à celle de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de lautorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de lopéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous linspection de deux ou trois censeurs.
Est-on fort éloigné du « barbier » ?
Aujourdhui, la frontière est floue entre information, diffamation et atteinte à la vie privée. Fallait-il, par exemple, parler du cancer de François Mitterrand et de sa fille adultérine ? Dans le premier cas, cela concernait la capacité de conduire lEtat et touchait à la véracité des déclarations des bulletins de santé, le second était du domaine privé et nintéressait que la famille.
Les publications à petits tirages et finances réduites ne peuvent se permettre de prendre des risques sous peine déventuels procès quils ne pourraient soutenir.
Mais que dire du domaine politique, domaine, purement subjectif, dautant plus sensible, quil passe par une ligne souvent floue du pouvoir interne, transgressée tous les jours par ceux qui ont la haute main aux affaires, sans que personne ny trouve à redire et sanctionnée pour tous ceux dont lambition nest pas autorisée par les dits potentats.
On se souvient de laffaire qui a opposé feu Van den Boynants à un journal satirique. VDB sétait gardé de porter plainte sur le fond, aussi le fait-il sur des détails erronés de larticle. Bien entendu, il eut gain de cause. Cela mit à mal les finances du journal. Lui se refit une santé politique.
Lopinion mouvante de la société
Un autre exemple. On fait grief à Daniel Cohn Bendit davoir écrit en 1975, lorsquil était moniteur de jardins denfants, un livre passé inaperçu à lépoque. Quelques paragraphes, largement inspiré de mai 68, où il était interdit dinterdire, traitaient de la sexualité de lenfant, bien réelle et déjà décrite par Freud en 1900. Un journal a exhumé le passage incriminé. Lopinion, profondément modifiée depuis laffaire Dutroux, sest scandalisée. Dany-le-Rouge a dernièrement dû faire amende honorable. Il a regretté ses propos. Ce qui pouvait passer anodin en 1975, ne létait plus en 2001 !
Cest que lopinion est mouvante et versatile. Actuellement, nous vivons deux phénomènes contradictoires : la permissivité des mœurs toujours plus grande et la répression des déviances sexuelles, surtout celles qui concernent lintégrité des enfants, toujours plus forte. Il nentre pas dans mes propos de discuter du bien fondé, de lune et lautre. Cest seulement un constat.
Les mœurs ne sont pas les seules à subir les humeurs du temps.
Le racisme est un autre exemple. Lévolution de cette notion, de la fin de la période coloniale à nos jours, est considérable. Aujourdhui, il est plus facile de dénoncer le racisme du Blanc à légard des Maghrébins ou des Noirs, que linverse. Jai assisté à une scène dans un magasin rue Féronstrée qui éclaire mes propos. Un Blanc pose son vélo dans lentrée quune femme douvrage vient de nettoyer. Elle en fait la remarque et aussitôt le Blanc enlève son vélo. Même scène cinq minutes plus tard avec un Noir. Celui-ci tempête crie, au racisme, à latteinte de ses droits et refuse denlever son vélo. Ny aurait-il pas là, dans un fait qui est loin dêtre isolé, une forme de racisme à rebours dont nous ne parlons jamais ?
Le malaise, à légard des lois contre le racisme et lantisémitisme, est réel. Ecrire sur les événements entre Israéliens et Palestiniens relève du tour de force. Certains agitent le souvenir de la Shoah pour un oui, pour un non, alors on se tait par respect pour les morts. Si lon en juge les communiqués largement diffusés de lEtat dIsraël, les terroristes sont les palestiniens. Si vous vous posez la question de savoir si ces derniers ne seraient pas plutôt des victimes, cest comme si vous complotiez une nouvelle Nuit de cristal !
Une société qui fait des lois pour interdire, même des contre vérités, comme sont toujours les propos racistes, nest plus une société qui respecte la liberté dexpression ; car, la liberté dexpression est pour tous, même pour les imbéciles.
Cacher les tares dont nous souffrons na jamais été un remède. La mise en quarantaine engendre la frustration, donc aggrave le problème.
Je vous livre mon opinion. Cest votre droit den avoir une autre. De la controverse naît parfois la lumière. Comme Voltaire, même si je ne suis pas daccord avec vous, je me battrai jusquau bout pour que vous ayez le droit de vous exprimer.
Le pouvoir de largent
Le premier pouvoir de largent est de censurer celui qui est à son service, par un renvoi ou une réprimande. Alors le travailleur se tait. Cette soumission muette est caractéristique dune force qui empêche tout droit à lexpression.
Ce pouvoir saccroît exponentiellement suivant le niveau où la puissance de largent sexerce. Comment réunir des preuves à lencontre dorganismes financiers, de banques, dindustriels qui usent de moyens considérables pour pénétrer lEtat, en corrompre ses personnels et régner sans en avoir lair ? Dans les derniers grands procès en corruption et détournements de fonds, a-t-on vu un gros poisson réellement condamné, sinon à des peines légères, et sitôt condamné, soutenu par un parti ou les milieux daffaires et remis dans des circuits parallèles ? Oserait-on citer des noms que pourtant tout le monde connaît. Peut-on être notoirement corrompu et cependant continuer de prospérer sous prétexte de représenter les citoyens ? Oui, bien sûr. Il suffit de penser une seconde que dans le flou ces gens détiennent larme suprême. Ils nient tout. « Navouez jamais ! » est la règle dor. Certaines des confrontations pourraient dégager au moins une certitude : lun des deux ment ! Oui, mais lequel ? Et laccusateur devient le vilain petit canard par où le scandale arrive. Il est laccusé. Il perd le droit à la parole. La confusion ne joue pas à son profit.
La présomption dinnocence est une règle. Il faut la respecter, certes. Mais souvent les faits sont improuvables, sinon par la statistique par laquelle on convient quil y a des maffieux qui recyclent de largent sâle dans les milieux industriels et les banques.