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C’est tuant de traîner avec soi ce que l’on a été avant.

(Extrait de l’Herbe Rouge de Boris Vian)


En ces jours de bougeottes, certains Liégeois ont posé, sans le savoir, leur séant sur les chaises Thonet, devant des guéridons aux terrasses de Saint-Germain des Prés, là où notre feu follet, quelques mètres plus bas, dans des sous-sols à la location allégée jouait de la trompette, il y a… enfin, c’était au sortir de la guerre.
- Laquelle ?
- Celle qu’il vous plaira…
Reprenons.
Au Nord vous avez les quais Malaquais et de Conti.
Au Sud, le Vieux Colombier et Saint Sulpice.
A l’Est, le Canard enchaîné et son Juliénas rue des Saint Pères.
A l’Ouest la rue Dauphine…
A cette époque les caves servaient d’entrepôts à bois ou à vin. Grâce à lui et à quelques autres, certaines devinrent des entrepôts de l’esprit et de la musique.
De la race des troglodytes, notre homme luttait contre l’envahisseur permanent qui ne devenait autochtone qu’après être descendu sans aide dans ces caves et avec aide en remontant.
A la surface toute une vie hôtelière permettait que s’élaborassent les romans et la philosophie de Sartre qui ne dédaignait pas faire la roue devant la ravissante Michelle Léglise-Vian dans un univers de verres, de carafes et de plateaux. Il en avait déduit et nous avec lui que tout le malheur de l’homme est de ne pouvoir rester en repos devant sa pile de soucoupes quand hurlent les sirènes des usines.
C’était au 33 de la rue Dauphine.
Voilà bien à l’année du Centenaire un début de roman trouble que Simenon n’écrivit pas, trop occupé sur son bateau péniche à servir sa servante Boule l’après-midi dans l’inconscience où était l’époque de la notion de harcèlement sexuel, quitte à se reprendre en soirée avec sa légitime encore émue d’avoir vu toute la scène, car le bateau était petit, dans l’ignorance où la malheureuse était d’un constat possible qui eût conduit notre lapin national au quai des Orfèvres.
C’est au 33 que vivait sous terre le fameux Tabou qu’une certaine presse comparait aux enfers, tandis que notre héros national allait à ses œuvres perverses auprès desquelles Boris Vian et l’élection de Miss Tabou faisaient figure de Cendrillon, sans que la même presse poussât le moindre cri.
Journaliste révéreras
Et Photographe également
Tes pères et mères maudiras
Pour vivre dangereusement
De la fine à l’eau tu boiras
Sans jamais payer en argent.
A Jean-Paul Sartre tu croiras
Sans savoir ce qu’il y a dedans.
C’est là que Juliette rêvait de renaître en catastrophe de chemin de fer avant qu’elle ne se prenne pour une chanteuse.
C’est là aussi qu’un enfoiré – il y en avait déjà à l’époque – titrait « Saint Germain des Prés fait trop l’amour. » Ce à quoi Boris à moins que ce ne fût quelqu’un d’autre, compléta de cette juste réflexion : « Comme si on pouvait le faire trop ! ».
Quand un existentialiste n’est pas vierge, il est père de famille !
Claude Luther à la clarinette au Vieux-Colombier, Aimé Barelli à la trompette chez Carrère et Boris Vian partout à la fois, que voilà une époque qu’on n’est pas près de revoir !
C’était un cheval de cirque
Un petit cheval amoureux
L’écuyère le tenait entre ses cuisses
Il en était vraiment très heureux.
Les quelques lignes qui précèdent donnent une image de Saint Germain des Prés qui n’existe plus. « il n’y a plus d’après… » a chanté Juliette.
C’est un hommage que j’avais à coeur d’offrir à la mémoire de Boris Vian, qui fut tout et qui ne fut rien.
S’il existe encore aujourd’hui, c’est à travers ses livres. Ses pièces de théâtres ne sont plus jouées et sa musique, essentiellement de jazz, est ignorée dans les discothèques. Et pourtant… tant du collège de pataphysique que du côté de l’existentialisme, il est impossible de parler du Paris de la juste après guerre sans ouvrir, par hasard, un journal où il n’ait pas écrit, un cours de philosophie où il n’est pas cité, un personnage de la peinture ou de la musique qu’il n’ait pas connu.
Boris Vian, génie méconnu ? Il paraît qu’il existe encore pas mal de feuillets écrits à la hâte, dans l’appréhension d’une mort prochaine (à 39 ans) qui se trouveraient chez les héritiers de ses épouses et de ses amis.
C’est ainsi…
Un dernier conseil de l’ami Boris aux paroliers de chansons.
Ami, tu veux devenir poète,
Ne fais surtout pas l’imbécile,
N’écris pas des chansons trop bêtes
Même si les gourdes aiment ça…
Qu’est-ce que la jeunesse ? Elle n’est affaire que de comportements. Boris Vian est un de ses derniers héros. Il est intemporel. Il aurait eu quatre-vingt trois ans le 10 mars 2003.

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