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La bagnole et l’Etat

Le roman haine-passion entre l’Etat et la bagnole défie toute analyse.
Il n’y a pas d’exemple d’un autre instrument de plaisir ou de travail qui soit aussi formidablement taxé, contre lequel on multiplie les interdits, duquel on signale tous les dangers qui soit en même temps aussi chéri ou détesté, mais employé par ses adorateurs et ses pires détracteurs.
Pour elle, on a dépensé des sommes colossales, bâti des villes en fonction de ses autoroutes, en même temps que les centres villes multipliaient les piétonniers et les potelets de dissuasion.
A cause d’elle, les transports par chaland et chemin de fer se sont ralentis, voire certaines lignes abandonnées ; tandis que les zonings périphériques voyaient se répandre le principe de l’achat fin de semaine des ménages motorisés, plongeant dans le marasme et la faillite l’ancien commerce de quartier, obligeant le piéton à de harassantes marches le filet de la ménagère à la main.
Il n’y a pas pire citoyens poursuivis par les règlements, les amendes, les menaces de prison et les arrestations sur place que l’automobiliste, en même temps que ceux qui sont chargés de le traquer, l’embastiller, le réduire dans les files ou faire le poireauter dans des « bouchons » se trouvent eux-mêmes pris à leur propre piège lorsqu’ils abandonnent galons et giro-phares pour se retrouver en jean’s dans les longs convois de vacances pour la mer ou la montagne. Quoique certains contrevenants policiers à leurs heures de détente sachent mieux que tout autre jouer du « cher collègue » pour faire sauter le PV d’une mauvaise conduite, on veut le croire, tout à fait occasionnelle.
Indépendamment de toute menace de guerre et du yoyo que nous joue le prix du baril, chaque salon de l’automobile est l’occasion d’admirer les belles voitures et rien n’arrête l’amateur qui se ruine ou met le budget de son ménage en péril, quand il doit sortir 25.000 euros de son portefeuille quand il n’en a pas le plus souvent le moindre sou et qu’il doit les emprunter, et cela pour satisfaire l’objet de son désir aussi précaire qu’un papillon aspiré par le vent, lorsqu’il rencontre un platane à cinquante à l’heure et que ses 25.000 euros deviennent 250 euros au poids du vieux fer en deux secondes ou mieux quand le même désir qu’il ressent est partagé par la gouape qui la lui chipe pour un casse ou pour une revente dans les pays de l’Est ?
Ce citoyen spécial, haï, jalousé ou admiré est traqué, pillé, mis en demeure. En plus des 9/10 du prix des carburants qu’il ristourne à son tourmenteur, lorsqu’il est assailli par les assurances exorbitantes, les taxes de toute nature qu’il doit décaisser pour avoir le droit de poser le pneu sur la moindre chaussée ou écouter la moindre musique de sa radio de l’habitacle. Lui, qui a tant fait pour soulager les finances de Didier Reynders, n’en est pas quitte pour autant. On le suspecte de rouler avec des voitures sans frein, des caisses pourries. Il passe ainsi pour un danger de la route dès la quatrième année d’existence de son chariot à moteur et il doit encore perdre une demi journée et verser son obole à des vérificateurs chargés de lui signifier qu’il est un danger de la route s’il continue à rouler avec son vieux clou.
Lorsque vous vous installez au volant d’une voiture, vous n’êtes plus un citoyen ordinaire, vous passez pour un assassin en puissance. C’est comme si on décrétait que sur un trottoir fréquenté par mille personnes et parce qu’il y aurait dans cette foule deux voyous et un assassin que toutes les mille personnes sont les voyous et les assassins !
Tout tourne en réalité autour de cela : quelques fanfarons du volant, chauffards dans l’âme et voyous dans le sang polluent les routes et c’est l’ensemble des conducteurs que l’on traque et que l’on traumatise, avant de les saigner à blanc, au nom de l’Etat, bien entendu !
Prenons les radars automatiques, c’est l’antichambre du grand contrôle général, du film complet de l’enfance à la vieillesse d’un citoyen ordinaire. C’est le Meilleur des Mondes, c’est-à-dire la négation même de la démocratie. N’en doutez pas, le radar dans les mœurs, ce sera ensuite la camera à chaque carrefour, puis dans toutes les rues. Bien sûr, c’est pour votre bien, pour vous éviter le pire, pour trier le bon grain de l’ivraie, mais jusqu’à quand le bon grain ne fera pas partie de l’ivraie ?
Au nom de la liberté on vend aux citoyens des bagnoles qui peuvent faire du deux cents à l’heure. Ne serait-il pas plus simple et économique de lui fournir juste ce que la loi et sa sécurité lui permettent ? C’est inouï la façon dont on restreint les libertés dans ce pays pour permettre aux citoyens de jouer avec le mot liberté !
Depuis qu’on place régulièrement des affiches sur les bords des routes fort fréquentées qui nous montrent les abominations de la vitesse, les méfaits de l’ivresse, les dangers de la somnolence et à présent les distractions dues au téléphone portable, moi qui n’ai jamais eu d’accident, qui respecte le code de la route, qui roule aux vitesses recommandées, sanglé dans mes courroies de protection, bardé de coussins protecteurs et d’appuie nuque, je me demande si je ne suis pas en train de virer assassin potentiel à cause d’une défaillance brusque, d’un mauvais réflexe, de l’ingestion d’un apéritif sans alcool qui me barbouille l’estomac, d’une distraction inopinée ou d’une défaillance mécanique au mauvais moment qui pousse l’automobiliste derrière moi à jouer les voitures tamponneuses ? N’avons-nous pas un engin d’une tonne à maîtriser que nous lançons à toute allure sur des routes traversées parfois par des gens qui pèsent soixante kilos et qui n’ont aucune protection ?
Ah ! on les voit venir les argousins de la route, lorsqu’ils vous intiment l’ordre de vous ranger, paquet de linge sale derrière un autre paquet de linge sale et tandis qu’un d’entre eux vous aborde et vous demande d’un ton sec tout le fourbis qui vous autorise à prendre la route, son collègue vous pointe du bout de sa mitraillette, le doigt sur la gâchette et peut être qu’un troisième fait renifler votre coffre par un Médor assermenté, on n’en mène pas large, justement parce qu’on se sait innocent et à la merci d’une bavure.
L’automobile ne serait-ce pas aussi le moyen pour l’Etat de contrôler davantage ses citoyens, de serrer la vis sous prétexte de sécurité ?
Tous délinquants à cause de l’automobile ? On se demande…
Le drame se situera sans doute dans dix, quinze ou vingt ans, comme le pli est pris de piller le citoyen par le biais de sa voiture et que raréfaction du carburant oblige, il n’y aura plus que les riches et les officiels qui pourront foncer sur les routes désormais peu fréquentées. C’est-à-dire la population d’intouchables et hors justice. Par quel subterfuge l’Etat va-t-il alimenter ses coffres, étant entendu que ses besoins seront toujours les mêmes ? Va-t-on hyper taxer les semelles des souliers ? L’air qu’on respire ? Remettra-t-on en usage les taxes sur le sel, paiera-t-on pour passer les ponts comme au Moyen Age ? Pourquoi pas décréter que le piéton est un véhicule comme un autre et le taxer en conséquence ?
Nos démocraties feraient bien d’y penser dès maintenant.
On voit de si singulières choses de nos jours qui ne paraissent pas plus que cela soulever l’intérêt ou la simple curiosité des gens qu’il n’est pas interdit de penser qu’après la voiture, nous ne retournions tant que nous sommes, nous faire voir par les Grecs, grands inventeurs de la démocratie comme on le sait et spécialistes émérites en la matière !

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