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Ça cavale de la pointe !

On ne parle tant de la solidarité que parce qu’elle n’existe pratiquement que sous forme de loi : chômage, maladie, vieillesse. Dans les faits, rare est le voyageur bien costaud qui cède sa place dans le bus à une vieille dame qui vacille à chaque virage et manque s’étaler dans le couloir ; exceptionnel est le patron qui s’apitoie sur un type qu’il va flanquer à la porte parce qu’il doit amortir son bateau qui mouille à La Napoule avec le salaire « en trop » ; tout à fait inusité le frivole qui veut liquider une vieille maîtresse et qui ne le fait pas quand il apprend qu’elle a un cancer.
On pourrait énumérer ainsi toute une série d’occasion de montrer qu’on a des tripes et qu’il nous reste quelque chose d’humain.
Bien sûr la réalité à un autre visage. La réalité est le contraire de l’idéalisation. Le costaud va rester le cul visser à son siège. Le patron va foutre l’ouvrier, vite fait, dehors. Et le petit dégueulasse va liquider la cancéreuse à coup de pompes dans le train…
On aurait pu croire qu’avec l’instruction publique obligatoire, on allait se dégrossir et que le cours de morale ne serait pas celui que l’on chahute le plus.
A voir les colonnes de sombres crétins qui sortent de nos écoles, on peut dire qu’on a loupé quelque chose au siècle précédent.
Mieux. Nos brillantissimes aventuriers des sciences, tous ceux qui enfin savent lire et écrire plus ou moins correctement, ne sont pas pour autant des êtres fins, sensibles et solidaires.
On dirait qu’entre le mal embouché du coin de rue, le mec de bureau et le spécialiste nez, gorge, oreille une sorte de colle universelle les soude pour le meilleur et surtout pour le pire. Seule change la façon de dire : Tu m’emmerdes, dégage…
Qu’est-ce qui fait qu’à la malpropreté des rues s’ajoute la malpropreté des coeurs ?
On peut se pencher sur la question.
Elle n’est pas anodine, nous touche tous et oblitère notre avenir.
Pourquoi est-on si dégueulasse dans une société qui a l’air assez prospère, enfin suffisamment pour que ceux qui s’en bourrent plein la gueule, au lieu de flanquer le surplus dans le caniveau en donnent un peu aux autres ?
Faut voir à l’eau miraculeuse à Banneux, comment les croyants jouent des coudes pour passer avant leur tour remplir leur godet, pour saisir que ce mépris des autres est bien partout, même dans des endroits où l’on aurait pu espérer mieux.
Quand la loi ne dit mot sur certaines détresses, qu’il est permis de cracher sur son semblable, faut voir des gens de qui on n’aurait jamais cru pareille vulgarité, se mettre aux glaviots de précision.
Alors là, quand la loi s’y met, c’est le pire délice des fins salauds à commencer par la façon honteuse dont on traite les étrangers en situation irrégulière. Penser que je suis Belge au même titre que tous les ministres de l’intérieur et en fin de compte, tous les premiers ministres qui ont programmé leurs petites merdes racistes et sélectives, cela me soulève le cœur.
Comment trouver les raisons de cette démission complète de l’humanisme tant vanté par nos instits de l’entre deux guerres ?
Comment trouver une filiation réelle entre ceux qui était des hommes et qui n’ont engendré que des avortons ?
Il faut sans doute mettre une partie de nos accablantes dégénérescences dans le rôle pernicieux d’une société essentiellement incarnée dans le profit et hiérarchisée par le seul critère de l’argent. Ce serait un peu court de croire que c’est parce que nous sombrons dans les records de productivité, d’efficacité et de compétence industrielle que nous sommes tous devenus de parfaits salauds.
Nos instincts grégaires, nous les avons et ils nous pourrissent autant qu’ils le peuvent nos élans du cœur, nos gestes gratuits. Nous avions découverts en nous mille raisons de ne plus passer nos semblables au court-bouillon. Que ce progrès était donc fragile ! Et comme l’animal que nous avons en nous n’attendait qu’une civilisation comme la nôtre pour effacer en vingt ans ce que nous avions mis un siècle pour construire.
Maintenant, c’est clair. Nous voulons tous jouir fort et de tout au mépris des autres et de la nature. Nous voulons être les plus forts, les plus malins, bref, notre modèle est américain et nous y courons.
Il est clair que c’est plus facile à un puceau de se branler que de faire une bonne action. Le premier mouvement ne requiert pratiquement rien d’autre que l’instinct. Cela vient tout seul et sans aucun conseil. Et bien voilà, tout est dit, hommes et femmes, tous aux rassis, à l’extase, au jet ! C’est à qui jouira le plus fort, dans la position la plus avantageuse. On n’entend pas trop gueuler encore dans les chaumières. Mais ça viendra. Faudra un parapluie en passant sous les fenêtres avec tous les tordus qui vont se torturer le zob à mort. On entendra feuler sur tous les tons comme dans les cages chez Bouglione.
Déjà dans les cinés, on a un avant goût. C’est à qui tiendra le scénar pour nul tant qu’on entendra pas les râles et les soupirs, les prends moi fort, les renverse-moi sur la commode… C’est même plus interdit au moins de douze ans, dis donc !
C’est pas que je râle là-dessus, foutre non, chacun a droit à sa dose, mais c’est qu’on n’entend plus que cela. Toute nuance écartée, on ne se sait plus si ça fait américain de bander ou pas ? Alors dans le doute, on s’aime tellement fort, qu’on n’a plus aucune place pour aimer sa propre mère !
Alors, vous pensez, les autres.
Ah ! oui, ce qu’on déteste les Fritz, enfin les anciens, ceux d’Adolphe, pourtant on n’est pas loin des solutions finales, on a déjà les camps, les tziganes et tout. Encore un petit effort, une nouvelle branlette, et hop, à la trappe la canaille…
Déjà les vieux en France, pas que la canicule qui en a étendu dix mille. Il y a bien quelque part quelques vacanciers à titiller le point-virgule à la Grande Motte et qui avaient complètement oublié de laisser une bouteille d’eau à mémé.
Allons à la mise à feu tout de suite, qu’on monte au septième ciel.
Il y a au musée de la Vie wallonne des vieilles photos de la rue il y a cent ans et même moins, cinquante. Eh bien ! tous ceux que vous voyez, rigolards, tressautant, le pédoncule en fleur, les minettes gaillardes et les Tchantchès à l’estaminet, tout ce petit peuple qui aspirait à ce que nous sommes, les voilà tous passés, fini les loustics et les enculés mondains, les Dupont La Joie et les perspectives. Nous, on est pareils. On ne le sait pas encore, mais on fait déjà nos petits paquets, fausse gloire ou pas, sans opinion et rondouillards du MR, saucisse du PS, tous en chœur, on va claboter sans gloire aucune.
Et quand dans quelques générations, des loustics feront le bilan des années pétrole, c’est pas la statistique industrielle qui intéressera, mais ce que nous avons dans le buffet et comme il ne restera que ce que nous avons dans la culotte, j’aime autant vous dire qu’on passera vraiment pour des pourceaux.

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