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La chaise n’était pas curule.

L’impossibilité de s’asseoir correctement devant l’ordinateur confère à l’écrit un tour différent.
Chacun peut en faire l’expérience. Si un fauteuil de bureau à fourche centrale télescopique vous met le nez au niveau de la table de travail à chaque fois que vous vous asseyez, vous devenez quelqu’un d’autre.
Rien n’est adapté à la victime de l’achondroplasie. Hélas ! il n’y a que Joséphine pour n’en ressentir aucun effet en sa qualité d’ange gardien.
Posez vos fesses sur une caisse à oranges pour manger à une table normale et vous m’en direz des nouvelles.

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Avant mon nanisme momentané, Jules César qui devait faire 1 mètre 53 dominait Rome des pieds et de la tête. Il est vrai qu’il avait pour l’époque une belle taille.
Voilà un type qui franchit le Rubicond, conquiert les Gaules, fait un Césarion à Cléopâtre, pour se faire descendre en plein Sénat par ses amis et – est-ce légende – par un fils adoptif !
Une telle fin prouverait qu’il n’était pas un dictateur comme Staline ou Saddam Hussein. Les despotes sont tellement craints qu’on n’arrive pas à imaginer qu’une rafale d’arme automatique règlerait tout. Papa-Doc et Amin Dada sont morts dans leurs lits.
Il y a des exceptions..
La tentative d’assassinat d’Hitler donna au dictateur une réputation d’invincibilité. Le peuple aime le merveilleux. Cela arrête souvent le bras d’un candidat au régicide.
Suétone quand il balance sur César ne le fait pas comme il le fait sur Tibère, cet impuissant saisi de la nostalgie du vice, ou sur Caligula, le sadique pathétique.
C’est peut-être son neveu et successeur Octave, connu sous le nom d’Auguste, qui fut la plus proche copie du conquérant des Gaules.
Pfafff ! mon siège me redescend le nez au ras du clavier.
Les perspectives changent. On est moins sûr de soi. Les meubles montrent leurs côtés honteux.
En ces temps-là le gros de la troupe était au service du tyran. Sur la fin, juste avant la chute de l’Empire, qui avait l’armée dans sa poche était empereur.
Mais voilà, on ne se méfie pas assez. Caligula fut le premier à trépasser de la main de ses gardes. Là aussi, est-on un tyran digne de ce nom quand on périt du complot de ses domestiques ?
Voyez avec quel fanatisme les gardes de Saddam dopés par l’adoration veillaient sur lui !
Quant à Néron, on a beaucoup gambergé sur sa manie de mettre le feu. C’était un lâche en réalité qui s’est donné la mort de crainte qu’on la lui donnât et qui n’a jamais rien bouté à quoi que ce soit.
Ce n’est pas Julius qui aurait péri de la sorte.
Quant à Claude, n’en parlons pas, avec la femme qu’il avait, il ne pouvait mourir qu’empoisonné.
Si César est mort au milieu des siens en plein Sénat, c’est peut-être qu’après avoir vaincu Pompée à Pharsale, une indulgence hautaine, celle de l’orgueil, le saisit et dès lors plus enclin au pardon qu’à faire périr les vaincus, son sort était réglé.
Pardonner, c’est humiliant pour celui qui trahit.
Un chef qui n’inspire pas la peur est un chef mort.
Son meurtre est plutôt le signe d’une grandeur douce qu’il faut abattre par peur de contagion.
C’est différent dans nos démocraties.
Voilà où je voulais en venir avant l’effondrement de mon siège.
Je voulais faire la comparaison entre deux pouvoirs et montrer que la violence est toujours là quoique on pense, mais de manière plus sournoise. Des hommes et des femmes politiques meurent toujours en démocratie. En partie parce qu’ils sont connus, un peu à la manière de l’assassinat de Dag Hammarskjöld ou récemment de la ministre danoise ; mais aussi tués par des ambitieux contrariés et des escrocs acculés.
Dans nos régions, un chef ne reste pas suffisamment de temps au pouvoir pour qu’on veuille s’en débarrasser. Voter pour quelqu’un d’autre offre moins de danger.
Seuls les très subtils manipulateurs persistent des décennies sous notre bourgeoise démocratie. Ce sont eux qui courent un danger.
Alors, les haines profondes éternellement ravivées par la présence abhorrée pourraient conduire au meurtre.
On ne se fie pas aux électeurs quand on est un fin politique.
Car l’électeur n’a pas de libre arbitre. La présence persistante, l’insistance des admirateurs, un parti qui s’abaisse pour mieux élever son leader, sont pour l’électeur les éléments déterminants de son choix.
Alors, on se maintient par d’autres méthodes, des dossiers, des services rendus.
Les enfants de chœur qui chantent les louanges de l’archiprêtre ne lui pardonneront jamais de lui avoir confié leurs vilenies quotidiennes. Ils vouent généralement une haine profonde à leur église et finissent dans l’irréligion.
C’est peut-être la raison profonde de l’assassinat d’André Cools.
Mais cela, nous ne le saurons jamais.
Mon fauteuil sursitaire, j’ai bricolé un coin de bois entre deux éclisses et calé à la pince-grippe la fourche télescopique.
Vue d’en bas, la société est fort différente. C’est un spectacle effrayant, celui que doit éprouver une mouche dans la toile de l’araignée.
C’est aussi une bonne école.
Tout qui écrit devrait en faire l’expérience.
Ceux qui souffrent, qui sont petits, vieux, ou pauvres, parfois les trois à la fois, ont presque toujours raison avant les autres.
Le jour où la conscience collective en sera persuadée, il fera soleil en nos cœurs.

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