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Si je parle de Bertolt Brecht, les béotiens qui ne jurent que par ce qui va se passer demain, tant ils ne savent pas ce qui s’est passé hier, vont sortir de leur patache comme d’une voiture futuriste pour m’accuser de passéisme.
Et pourtant, sur une musique de Kurt Weil, « l’Opéra de quat’sous » n’a pas cessé d’agiter une révolte intérieure qui ne s’explique que parce nous avons le sentiment de passer à côté de ce qui aurait pu être la démocratie que nous attendons toujours.
C’est ce qu’ont compris plusieurs scènes d’Europe qui ont repris ce qu’au Théâtre Am Schiffbauerdamm, on entendit pour la première fois en 1928.
La complainte de Mackie, le surineur, son mariage avec Polly, la fille du roi des mendiants, Peachum, Tiger Brown, chef de la police, la « Chant des canons » concourent à créer une atmosphère étrange, qui n’est pas celle de la « vraie vie », qui en est la caricature, mais pour nous convaincre que l’extravagance, la démesure sont beaucoup plus proches de la réalité qu’il n’y paraît.
Trente ans avant Brecht son confrère et compère inattendu : Alfred Jarry, ouvrait son théâtre de palotins faisant du Père Ubu, un type de lâche universel, dans l’incompréhension générale.
Et c’est bien le paradoxe de cette littérature en marge, la bourgeoisie après s’être moquée au tout début de ces chefs-d’œuvre, s’en empare par snobisme longtemps après. Lorsque les bagnes nazis auront montré, à la stupeur générale, la bestialité qui avait ses racines dans la bourgeoisie chrétienne allemande alliée aux milices hitlériennes « du fou », les Européens se réveilleront épouvantés de l’Histoire !
L’Allemagne de 1923, Adolf Hitler a lamentablement raté son coup d’Etat ; mais, les chemises brunes s’affichent partout à Munich, modèle de Brecht pour Mahagonny, sa ville imaginaire.

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Quelques années plus tard, l’œuvre de Brecht, interdite par Berlin, prendra tout son sens : le bandit Mackie, le policier Tiger Brown et le roi des mendiants Peachum, si dissemblables en apparence, vont se révéler redoutablement solidaires pour le maintien du système en place.
« L’Opéra de quat’sous » a ceci d’actuel que c’est le même principe de cupidité qui régit l’esprit bourgeois dans la négation de l’autre, aujourd’hui comme hier.
Ah ! ils s’étaient bien trompés sur Adolf Hitler et avec quel acharnement ils se trompent aujourd’hui sur la qualité « du progrès » de l’homo occidentalis.
Le critique qui a le mieux percé la dialectique de Brecht est Bernard Dort.
« L’important pour Brecht n’est pas tant de montrer que les bourgeois sont des brigands que d’établir cette évidence : le jeu de brigands et de bourgeois qu’est l’Opéra suppose une société où chacun ne peut se conduire qu’en brigand et en bourgeois, sauf à rompre totalement avec elle ».
L’état des lieux en 2003 n’a changé qu’en apparence. La manière dont la presse conformiste voit la chose contribue à renforcer l’estime que la « middel class » a d’elle-même. Qui peut le mieux jouer le roi des mendiants qu’« une star » du conseil d’administration d’une banque ? Je vous laisse mettre des noms sur les personnages de Mackie et Tiger Brown. Vous n’avez que l’embarras du choix.

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