« Une situation délicate... | Accueil | Europe : le civil toujours en première ligne. »

La mouche en pension chez une tarentule


art.jpg

Je viens de relire Andromaque de Jean Racine. Comment ai-je pu passer à côté d’un chef-d’œuvre pareil sans le comprendre ? Mes professeurs y ont mis du leur. Je les rends responsables de mon endormissement pendant de longues années. Je me suis réveillé sans eux.

J’étais un abruti, un veau, je m’en explique
Quand âgé de seize ans, j’étais en rhétorique
Et qu’un cuistre assassin, Racine, pervertit,
Jetant sur Andromaque un grave discrédit.

M’ayant gâché la perception de la beauté classique, ces rustauds règnent encore et font de la même manière autant de tort aujourd’hui.

Leur académisme désigne l’art à la consécration bourgeoise. Reste à la partie officielle le soin d’achever leur ouvrage.
Ce qu’elle fait sans vergogne avec l’argent public.
Ainsi abandonné, le créateur qui n’a pas eu la perception de la beauté classique, s’en détourne et vit sa création dans la clandestinité
L’art instinctif, qu’il produit, inquiète parce qu’il ne répond pas à l’orthodoxie, qu’il récuse l’art officiel et qu’il remet en cause l’appréciation bourgeoise.
Car si le bourgeois aime Andromaque aussi, ce ne sont pas pour les mêmes raisons que les nôtres.
« L’intérêt de la classe dominante est de gérer l’image qu’elle se fait de soi. » (Pierre Bourdieu)
On dénie aux marginaux le droit de produire.
Vous n’êtes pas sans avoir remarqué le coût élevé du matériel, de la moindre brosse de martre à la feuille d’aquarelle ; comme est inaccessible l’éditeur-mécène et hors de question un orchestre à la disposition d’un compositeur.
L’appropriation de la mémoire populaire des Universités, par la modification et la codification du langage, rend leur propre savoir inaccessible aux créateurs,..
« Le discours dominant se ramifie en se faisant confirmer par les voix d’en bas et en faisant dire la même chose par d’autres personnes » (J. Rancière)
Inconsciemment le langage consacré vise le conditionnement de l’art dans sa vision bourgeoise. Seuls les artistes qui adhèrent aux valeurs dominantes auront une chance d’être reconnus.

art3 copie.jpg

Les techniques d’inculcation du pouvoir sont suffisamment au point pour masquer la manipulation dont les artistes sont les premières victimes, les secondes étant le public.
Ainsi les gens finissent par se convaincre qu’ils ont pensé ce qu’ils défendent !
L. V. Thomas parle à ce propos des « appareils idéologiques d’Etat. »
La mise en actes de l’idéologie selon Althusser, c’est celui du système institutionnel : famille, patrie, école. Ces institutions relais sont là pour transmettre dans les moules sociaux les grandes évidences, à commencer par les buts à atteindre : l’industrialisation = l’amélioration du niveau de vie.
Pour la bourgeoisie l’idéal absolu, n’est rien d’autre que le sien. Elle nous convie à le partager, en feignant d’ignorer que cela nous est impossible.
L’illusionnisme bourgeois s’étend évidemment à d’autres catégories que celle de l’artiste-créateur. L’artiste-interprète en est victime aussi.
La technique d’appropriation est la même. La presse et les syndicats s’y sont laissé prendre. La sélection des informations, les priorités des titres jouent sur les regards d’un engagement au quotidien.
Par ses artifices de langage, ses partis pris hautement manipulateur, le pouvoir légitime ses choix en matière d’art, comme en tout autre domaine de la vie sociale.
Le paradoxe de l’artiste est qu’il ne crée pas seulement pour lui seul. Il a besoin de communiquer son art aux autres, d’où cet amour-répulsion de la consécration que l’atonie de la pauvreté rend si cruel.
Il serait temps de réhabiliter le mépris de la classe dominante, de s’en parer comme une qualité essentielle de l’art populaire.
Et, de ce point de vue, les artistes d’en bas ont encore tant de gens à décevoir !

Poster un commentaire