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Une passe romantique...

- Quel âge as-tu, mon chouquet ?
- 42 ans, Madame.
- Et c’est la première fois que tu…
- Eh bien !... oui !
- Détends-toi. Tu as une demie heure.
- Merci.
- Non. Merci de m’avoir choisie… Attends, c’est moi ça…
- Je sais quand même bien me la laver tout seul.
- Je sais. Mais ça fait partie du travail.
- Pourquoi ?
- Parce que ça aide. Ça t’excite ?
- Oui, un peu.
- Comment ça, un peu ?
- Comme c’est la première fois, je suis perturbé.
- Ne t’en fais pas. Tu veux que je me déshabille ?
- Oui, s’il vous plaît.

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- Comment tu me trouves ?
- Un peu forte…
- Tu sais les hommes aiment ça.
- C’est quand même beau à voir…
- Merci.
- Oui. Les mamelons, les poils en bas… tout quoi !
- Tu peux toucher, mais pince pas !
- Merci.
- Non. Je n’embrasse pas…
- Comme c’est curieux.
- Je me mets en-dessous ?
- Je ne sais pas. Comme vous faites d’habitude.
- Tu sais, mon chouquet, ici, il n’y a pas d’habitude. J’en vois de toutes les sortes.
- Bon. Alors si vous voulez, c’est moi qui…
- Tu permets que je te pose une question ?
- Je vous en prie, Madame.
- Comment se fait-il qu’à 42 ans tu n’aies jamais fait ça ?
- Rien qu’à imaginer toutes les emmerdes qui vous tombe dessus dès qu’à 15, 16 ans on regarde une femme, j’ai réfléchi aux inconvénients de l’entreprise sexuelle. D’abord comme je ne suis pas riche, aux dépenses en sorties, restaurants, cadeaux, sans compter quelques refus humiliants. Viennent enfin les idées que l’on se fait des maladies vénériennes, le Sida en tête. Enfin quand ça y est, qu’on n’est plus seul, viennent l’application à ne jamais rentrer trop tard, à avoir un boulot rémunérateur et à éviter de se faire foutre à la porte parce qu’on a des responsabilités, les parents de sa compagne qu’il faut supporter en plus des siens qui ne sont pas commodes, au divorce qui vous pend sous le nez, les statistiques le prouvent, à la pension qu’il faudra payer sa vie durant, au rôle ingrat de cocu ou au rôle méprisable de l’amant, à la lente dégringolade dans des enfers auprès desquels ceux de Dante, c’est de la rigolade.
Alors, j’ai hésité.
Ces choses-là pour y plonger, faut pas réfléchir. Si vous réfléchissez aux vicissitudes du temps, aux rides, à l’appétit sexuel qui fout le camp, à vos infirmités ajoutées aux infirmités de l’autre, les tuiles qui sont multipliées par deux, les concessions constantes, un est pour la mer, l’autre pour la montagne, un qui a trop chaud, l’autre trop froid, un pour ARTE, l’autre pour « La ferme » et les attentions, comme de remonter la fenêtre de la voiture de votre côté pour ne pas qu’elle ait un courant d’air attendu que du sien, elle a baissé sa vitre, alors qu’on crève de chaud… pour finir par des responsabilités majeures, comme d’émigrer aux Etats-Unis ou acheter une maison dont on n’a pas le premier sou… une trouille bleue vous saisit et ne vous lâche plus.
- Tu parles du couple, chouquet, mais une histoire de baise où quand c’est fini chacun rentre chez soi et ne pense plus à l’autre, c’est plus cool, non ?
- C’est pire. Parce qu’une liaison vous oblige à l’exploit, à l’exceptionnel. Les couples mariés qui se trompent le savent bien que si on pantoufle des deux côtés, ça vaut pas la peine. Et puis, une liaison se clôt plus facilement qu’un mariage. On est en sursis. On force pour être drôle et on n’est que lugubre. On veut être meilleur que celui qu’on remplace. L’effort se voit. On se sent moche et lamentable ! On bande tout le chemin en pensant à elle. Arrivé au nid d’amour, on ne sait pas pourquoi, c’est retombé comme un soufflé. On jure ses grands dieux qu’on n’y comprend rien. Elle vous console, mais vous voyez bien qu’elle vous soupçonne d’avoir fait l’amour avec votre femme juste avant de venir. On se demande si la semaine prochaine on ne sera pas obligé de reprendre la tournée des adresses sur le NET. Combien de surfeuses on va faire, combien de restaurants, de guéridons de bistrot, d’attentes, de déceptions d’emblée ou des déceptions qui ne viennent qu’à la deuxième ou troisième rencontre.
On baisse les bras à l’avance. On est accablé de repasser une sempiternelle fois les examens de dépistage des MST, quand le médecin vous dit, goguenard, « Mais n’êtes vous pas déjà venu le mois dernier ? ».
Mais, passons… Je m’allonge et vous venez sur moi, je préfère…
- Pas de chance mon chouquet, la demie heure est passée. Rhabille-toi et sois gentil, mets les cinquante euros en dessous de la boîte de préservatif sur la table de nuit, à cause des courants d’air quand tu ouvriras la porte. Ce sera pour une autre fois. Tu as attendu 42 ans, tu patienteras bien une semaine. Oui. Je recommence mercredi en huit et Laurence, ma remplaçante, n’aime pas les bavards. Si tu veux tu peux prendre rendez-vous, mais c’est 10 de plus pour réserver. Allons, t’en fais pas. Cette fois-là, t’auras à pas trop discuter. Tu t’es déballonné, hein ? On fera ça à la romantique. Un déshabillé rose et porte-jarretelles noir, ça t’irait ?...

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