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Vire au guindeau

Les grands voiliers, dévoreurs d’espace, sont les formules 1 du rêve. On a envie de tout plaquer pour y jeter son sac, alors que le premier maître sonne la cloche du départ.

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Partir, le mot est lâché, se fondre dans l’anonymat d’un port, du vent sous les semelles, en partance pour un autre port, avec en bouche des noms qui font rêver : Valparaiso, Malacca, Vancouver… On a l’impression d’entrer dans une peau neuve, si neuve qu’elle n’a pas encore connu le sordide, l’infâme, la sueur, l’angoisse, le mal vivre… A l’autre bout du monde, on est quelqu’un d’autre, venu d’ailleurs. Le mystère est sans cesse recommencé d’estuaire en calanque. Fernão de Magalhães a dû ressentir cela en 1505…
Blaise Cendrars a très bien rendu le fourmillement qui vous parcourt au mot « départ »…
« Le trident de Neptune est le sceptre du monde », comme l’écrivit Antoine Marin Lemierre.

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Nous dormirions dans des hamacs tissés d’abaca, ce bananier des Philippines dont les fibres font de bons cordages. Sous le beaupré nous prendrions des allures de coureur des mers, comme si nous étions corsaires de Saint-Malo, alors qu’à peine amarinés nous n’aurions que des nostalgies d’une trop longue adolescence aux lectures de Jules Verne et que nos vagabondages ne seraient que les chimères « d’un voyage autour de ma chambre ».
Rêve d’enfants que cela.
On est cabané (chaviré) par les vacances, la tête pleine des cadènes … vacuité des jours sans travail… L’oisiveté est cruelle aux faubouriens que nous sommes tous plus ou moins devenus depuis qu’il n’y a pas que les bateaux qui tirent sur leurs chaînes…

Dis qu’as-tu fait des jours enfuis
De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit

On le sait, une nuit n’est pas pareille à l’autre. L’été nous pousse au dinghy. Tirer sur la ficelle de l’Evinrude, et filer au large, cela conduit à un port, de l’autre côté de la vague… Nous sortirons notre étamine à pavillon noir, bien entendu, jusqu’à ce que nous tossions (cogner) contre un wharf inconnu.
Dans la réalité, la mer se lit d’un bord à l’autre de la ligne et la vague se fait vaguelette au récit.
Quitte à trahir Surcouf, l’étendue d’eau se rétrécira au point de prendre l’aspect d’un lac artificiel (l’embalse espagnol). Il faut au voyageur quelques points fixes à sa nature fidèle.
L’après-midi, nous partirons aux crécelles des cigales, nous baigner dans le Salagou. Eh oui ! les mers rétrécissent au lavage des budgets.
Tandis que je te verrai nue à sécher sur le drap de plage,
Je te lirai quelques poèmes :

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Fleurissaient les seins de Lola…

Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu…

Puis à la sieste, tu seras du voyage et nous voguerons dans le dépaysant Marizibill du cher Guillaume… Nous choquerons (lâcher du cordage) à nos imaginations tendues.

Dans la Haute-Rue à Cologne
Elle allait et venait le soir
Offerte à tous en tout mignonne
Puis buvait lasse des trottoirs
Très tard dans les brasseries borgnes
Elle se mettait sur la paille
Pour un maquereau roux et rose
C’était un juif il sentait l’ail
Et l’avait venant de Formose
Tirée d’un bordel de Shanghai
Je connais des gens de toutes sortes
Ils n’égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs coeurs bougent comme leurs portes…
C’est cela. Nous sommes gens de toutes sortes et nos cœurs bougent comme des portes…

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