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Vocation liftée.

On est une bande de jeunes. On n’est pas trop cons. On a compris qu’on réussira jamais dans la petite délinquance. Restent deux voies : celle de mon père qui a bossé trente ans chez Alidur, qui vient de se faire virer parce qu’Alidur déménage au Pakistan.
A trois semaines de se faire lourder, mon père avait sollicité Alidur pour me placer à la fonderie aluminium, c’est mieux payé, sauf qu’on y crève des poumons ; enfin, c’était juste pour que j’aie un pied à l’étrier. Le patron avait dit oui. Il savait bien la fiente, qu’il allait les mettre et que mon vieux était out.
La deuxième voie, celle de la délinquance en col blanc, c’est la plus sûre, la plus lucrative, mais la plus difficile.
Pour délinquer col blanc, faut d’abord des fringues. Faut voir les voyous du PS à Charleroi, tous fringués de première.
Comme Tony s’est fait épingler pour un bête sac trouvé par terre (Il a eu du pot et n’est pas parti en maison, parce qu’il n’a pas seize ans.), on a réfléchi qu’en col blanc, y a plus de pèze et de respect. Les juges blairent bien les bien-mis et les qui parlent à l’aise.
Donc, avec les copains, on a repris l’idée qu’on n’avait pas d’avenir en fouillant les poubelles et les fafiots des riverains et qu’il fallait s’élever pour réussir.
Avec le pognon qu’Alex avait filouté chez sa mère, on s’est fringué super. Le costard gris foncé, la chemise comme mon cul quand il est propre et la cravate des harengs qu’on voit sortir des Institutions européennes ou d’un Conseil communal.
Avec ça, t’es encore nulle part.
Il a fallu qu’on apprendre (je sais que c’est pas correct, mais je suis pas encore arrivé au temps de la conjugaison qui faudrait) à écrire et à parler. On suit des cours accélérés chez le Causeur. C’est un vieux philosophe qui a fait dix piges de cabane pour une histoire de sachet de frites qu’a mal tourné sur la foire d’octobre, un jour qu’il avait bu. C’est trop long à expliquer. On cause déjà mieux et pour ce qui est des fautes, vous pouvez juger la rédaction que vous lisez actuellement, le sujet étant « Qu’est-ce que je ferai plus tard ». Même qu’on s’est marré quand le Causeur nous a dit « Si tu écris que tu veux faire flic, je te fous mon poing sur la gueule ! ».
Quand on sera bien armé pour se pousser, notre idée c’est de nous inscrire dans un parti, n’importe lequel, mais comme on n’est pas des bourgeois, on pense que c’est le mieux de s’inscrire au PS, vu aussi, qu’on a des grands exemples à Charleroi, à Namur et ailleurs. Moi, j’y ai envoyé un mot à Cariat. « M’sieu Cariat, vous êtes mon idole. J’apprécie votre parcours. Vous avez pas un conseil pour ma carrière ? ». Il m’a pas encore répondu, mais je crois pas qu’il oubliera.
Comme on n’est pas de Charleroi et que Charleroi est tout quadrillé et que les places se retiennent dix ans à l’avance, on a pensé à Liège, vu qu’on est Liégeois.
Seulement, pour s’inscrire et payer la cotisation, ça fait pas un pli, on vous demande rien, mais pour être quelque chose dans la place, faut se lever tôt avec toujours la main sur l’eustache. La lame, c’est bon, t’en as peu qui comprendre pas (même problème que pour apprendre), quand t’appuie ton outil sur le tarin de la tante qui résiste.
L’affiliation, c’est bonard. Fastoche, tu sors la monnaie. Pour l’estrade, c’est autre chose. Tu dois forcer les marches, te frayer un sentier à coup de coupe-coupe parmi les avocats qui encombrent, sans oublier les fils de pute qu’ont papa sur l’estrade. Y a tellement du monde qu’on aurait fini par retourner aux sacs à main, si Bénard du Tronc-d’Eglise (son blase, c’est une anecdote, c’est trop long à expliquer) n’avait eu une idée géniale. Entre délinquants, ça se comprend à demi mot. On a vécu à Sainte-Marguerite le déclin de la Camora pousser dehors par le Maghreb qui elle-même est bousculée par les violents des Carpates. La politique, c’est comme la rue, ce n’est qu’un rapport de force.
Si tu te pointes avec la gueule enfarinée en demandant pardon à l’avance quand on t’écrase les orteils, t’es foutu, mon biquet. Mais, si tu le prends de haut, que tu joues de la muscu et qu’on sent que celui qui te résiste va se faire estourbir, ça fait pas un pli, avocat ou fils de, tu fais ta trouée et t’arrive à la table des dégustations négociées.
J’y suis pas encore, certes. Mais avec Bénard du Tronc-d’Eglise, on a coincé dans un coin le type qui range les chaises après la réunion. On l’a un peu arrangé, pas trop pour pas qu’il porte plainte. Maintenant c’est mes zigues et Bénard qui rangeons.
Prochaine étape, devenir homme de sécurité avec l’objectif de porter une serviette d’un de ceux qui se gobergent et qui encaissent sur l’estrade.
Ce ne sera pas facile.

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Faut choisir sa victime. On demandera des conseils chez les pros à Charleroi.
Le causeur nous a dit qu’après l’estrade, faut causer au monde. C‘est con le public, mais faut quand même trouver des mots qui apaisent, faut les branler dans leurs têtes de piaf. Les avocats font ça très bien. Faudra qu’on en travaille un pour qu’il nous explique. Puis on s’attaquera au fils de. On a déjà remarqué : le fils de, c’est souvent un couillon. On n’aura pas même besoin de la lame cinq pouces pour le convaincre, un cutter pourrait déjà y faire, afin qu’il cause de nous à papa.
Au bout, c’est la réussite, la consécration. Peut-être même le bureau… Tu te rends compte, le sommet d’une carrière : le Bureau… On y rêve !

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