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Tu as lu Wittgenstein ?

Il vaudrait mieux se tirer une balle dans le pied, plutôt que d’ouvrir un débat.
Cela va me faire du tort.
Pourtant, il y a au moins à Liège une trentaine de personnes qui savent qui est ce type.
Comme vous êtes parmi elles, je ne vous ferai pas l’injure de vous le rappeler. Mais, il est possible que l’un ou l’autre utilisateur du WEB, cliquant par hasard sur ce site, se pose la question.
Pour lui seulement, en deux coups de cuiller à pot, Ludwig Wittgenstein, né en 1889 et mort en 1951, est un philosophe matheux qui après avoir soutenu que la philosophie pour éviter les pièges du langage se condamnait au silence, ne cessa plus depuis de la ramener sur à peu près tout, d’où extase des lecteurs qui crièrent au génie devant son œuvre « Tractatus logico-philosophicus ».
C’est le cas ces temps-ci de gens d’habitude raisonnables qui, lorsqu’ils s’assemblent, ne le sont plus du tout, moi compris évidemment, sinon, je ne me permettrai pas d’émettre la moindre critique. Ils le crient dans tous les salons et cafés du commerce : Wittgenstein est un pur diamant de la métaphysique, voire de l’ontologie !…
On sait comme il faut être prudent en philosophie pour critiquer un philosophe statufié, publié à cent mille exemplaires, si on ne veut pas passer pour un con. D’autant qu’admirer est plus confortable que critiquer. On n’a pas besoin d’arguments pour dire les yeux mi-clos de bonheur « Wittgenstein, j’aime ! ». Par contre, avant d’affirmer que le type vous gonfle, il est souhaitable de prendre des notes, de relever des points de contradiction et de conclure de façon pertinente. Certes, cela ne sert à rien, tant quelqu’un qui trouve Wittgenstein formidable ne peut pas débattre de l’avis contraire de son voisin de table, et abdiquer toute prétention à la vérité. Vous pensez, un type qui publie en allemand et qu’on traduit en français, ce ne peut être qu’un crack.
Toute publication impressionne et dispense d’avoir un jugement personnel sur le tas, c’est-à-dire sur l’œuvre elle-même, d’autant que l’œuvre de Wittgenstein, ce n’est pas une oeuvrette. C’est copieux, dense, pratiquement illisible et fortement marqué de l’esprit matheux de l’auteur.
Le traducteur de Wittgenstein en français a dû passer de fichus quarts d’heure, le lecteur aussi.
J’ai essayé de mettre en pratique l’œuvre du Maître lorsque dans son chapitre « proposition. Sens de la proposition », il m’a mis sur la piste d’une martingale en prétendant « qu’avec un bon dé je sors en moyenne un as tous les 6 coups ». Mon dé ne l’était sans doute pas, puisque quinze pages d’équations plus loin, je n’avais toujours pas trouvé le moyen de faire sauter la banque d’un casino rétif à la théorie du philosophe. S’il n’y a aucune raison pour qu’un chiffre sorte plus souvent qu’un autre, il existe six milliards sept cent millions de combinaisons possibles pour que mon lancé ne coïncide pas avec le bon numéro au moment où je le décide, soit treize ans et demi de lancés !
Je l’ai toujours pensé : les mathématiques sans philosophie ont la vision basse, tandis que la philosophie des mathématiques sans mathématiques vivantes est creuse.
Wittgenstein est un mathématicien philosophe qui réfléchit sur des mathématiques abstraites, donc creuses.

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Il eut tort d’affirmer que mathématiques et philosophie n’ont plus rien à se dire.
C’est peut-être grâce à cette outrance que certains trouvent du génie à Wittgenstein. L’analyse démagogique de ce dernier ne peut être que le résultat d’un formalisme étroit au service d’un constructivisme outrancier, disent ceux qui voient dans l’œuvre du grand homme bien des contradictions...
« Le principe créateur se trouve dans les mathématiques » écrit Einstein, en cela en harmonie avec les aristotéliciens. Il était, sans doute, plus proche d’un Lautmann qui pensait que l’amour, la poésie, la vue des œuvres d’art et les mathématiques sont une même chose. Un peu comme la logique de l’esprit grec qui fit que les mathématiques eurent un style, comme la sculpture. Telles furent sculptées les statues du Parthénon et l’édifice lui-même conçu selon des fuites et des perspectives architecturales qui ne pouvaient être édifiées sans passer par des pages de calculs.
Mais, je vous embête avec mes réticences à trouver Wittgenstein génial. Peut-être demain me viendra-t-il des arguments pour dire le contraire d’aujourd’hui, avec tout autant d’aplomb.
Il a peut-être du génie Wittgenstein ?


Commentaires

Un peu facile, Richard III!Qui dit que Wittgenstein est un génie? Il a des côtés géniaux, OK, et pour le reste, c'est un malheureux humain qui essaie comme nous tous de comprendre ce qu'il fout là!Ce que les philosophes autoproclamés ne supportent peut-être pas, c'est la façon dont Wittgenstein les renvoie à leurs masturbations. Notamment lorsqu'il dit que la majorité des problèmes philosophiques ne sont des problèmes que suite à une méconnaissance de la structure du langage. Il y a des questions qui n'ont aucun sens: ce dont on ne peut parler, il faut le taire, dit-il! Les philosophes détestent qu'un foutu matheux logicien leur fasse la leçon! Où va-t-on si les gens ne restent pas à leur place?

Et pourtant on sort bien en moyenne un as tous les 6 coups...

Cher duc,
Je ne partage absolument pas votre oignon, je m y oppose même diamétralement : Ludwig Wittgenstein fut et reste un génie de la philosophie contemporaine…
Non seulement sa pensée, sous les diverses formes sous laquelle elle s’est cherchée, est géniale, mais même jusque dans son vie quotidienne, dans son cheminement existentiel, il y a du génie.
Ce fut un élève brillant et précoce tout au cours de ses études, qui réussit à montrer les contradictions de son professeur d’université alors grandement illustre, Bertrand Russell, et qui sut proposer un modèle alternatif : le tractatus logico-philosophicus . Le tout au son des canons de la Grande Guerre…
Il eut une vie ascétique et torturé, allant jusqu’à se remettre en question publiquement, et accoucha d’une ébauche de « seconde philosophie » dont on n’a pas fini de tiré les enseignements…
Mais certes, l’approche et la compréhension de ses pensées sont difficiles, et le meilleur chemin reste à mon avis, paradoxalement peut-être, par ses étudiants et commentateurs, comme David Pears (La pensée-Wittgenstein, du Tractatus aux Recherches philosophiques), avant que de revenir aux textes « originaux » de Wittgenstein lui-même.
Votre altesse, dans son billet, en résumant la philosophie de Wittgenstein à une seule compréhension, un seul jeu de langage, celui des mathématiques, semble indiquer sa mécompréhension de l’œuvre du philosophe.
Si son altesse le permet, j aimerais ainsi rectifier vos propos et reprendre ici même les tenants et les aboutissants des pensées de Wittgenstein, tel que je les ais moi-même compris.
Wittgenstein part de sa compréhension que le monde tel qu’on le trouve est un monde de signification : tout fait sens, le monde humain est un monde de sens, il y a de la signification partout où se pose le regard de la conscience, et toutes choses y est telle chose en vertu de l’appareillage intellectuel de l’être humain. Le langage est le substrat de l’appareillage intellectuel humain. L’usage des signes qui constituent le langage sont le sens de ces signes. Mais le sens de ces signes n’a de sens qu’au sein d’un jeu de langage, forcément partiel par rapport à l’ensemble de la réalité. Ainsi le langage, le dicible, se rapporte à des points de vue partiels et lacunaires sur les faits qui sont les nôtres. Mais notre vie, au quotidien, ne se résume pas aux seuls faits. Le sens de notre vie se projette « au-delà » des faits, « au-delà » du dicible. Il est une part indicible en nous, l’éthique (ou esthétique), qui se montre dans nos différentes formes de vie/comportements/jeux de langage mais qui ne peut pas être exprimé, explicité, déterminé, etc., et toutes les questions à son propos sont inutiles car sans réponses exprimables. Le langage ne peut parler que des choses du monde, mais quand bien même nous saurions tout du monde, nous ne saurions rien sur notre liberté, notre devoir, nos droits, etc. Il arrive ainsi à la conclusion que la philosophie ne peut accorder une valeur de vérité qu’au seules propositions des sciences, qui n’est pas du domaine de la philosophie, et que la philosophie, se trouvant vide de tout autre contenu, puisque l’éthique est indicible, n’a plus rien a dire de significatif (en dehors de ce discours là).
Quand à son rapport avec les mathématiques, ce ne sont pas des rapports de « matheu » voulant philosopher mais bien d’un philosophe éclectique affrontant et résolvant des problèmes fondamentaux, notamment sur la nature des nombres, des chiffres, de la logique, etc.
Wittgenstein nous le dit : la nature de la signification est dans l’utilisation de signes, les signes font sens dans leur usage même. Les mathématiques, les nombres, la logique, etc., ne sont pas des choses qui existeraient « en soi », ni qui serait le produit de langage privé, subjectif, unique, « pour moi », mais bien les propriétés externes, publiques, « pour autrui », des objets du monde.
Il y aurait tant à dire à propos de la philosophie de Wittgenstein… C’est une philosophie complexe, riche, et qui sait, salutaire. Je vous invite, votre altesse, en grand admirateur du « Maitre », à vous replonger dans ses écrits et commentateurs, pour votre plus grand bonheur, afin d’y puiser une toute autre compréhension.

Le texte allemand de la dernière proposition du Tractatus est le suivant: " Was sich überhaupt sagen lässt, lässt sich klar sagen; und wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen". La traduction littérale serait la suivante: "Ce qui, somme toute, se laisse dire, se laisse dire clairement; et de ce dont on ne peut pas parler, là-dessus on doit se taire". Faut-il donc comprendre que ce dont on ne peut pas parler clairement, il faut le taire?

La traduction de Gilles Gaston GRANGER chez Gallimard et celles que l'on cite le plus souvent sont-elles inappropriées et incomplètes?

Merci d'avance pour toute réponse sérieuse et utile.

Philippe

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